WINTZENHEIM 39-45

Otto Dix 1891-1969


Tribulations d’un artiste

Otto Dix est un des plus importants peintres allemands du siècle dernier. Il est né le 4 décembre 1891 à Untermhaus près de Gera, en Thuringe. Il est issu d’un milieu ouvrier. Mais par sa mère, il reçoit un éveil et une éducation artistique. Très jeune, il suit des cours de peinture à Gera, puis, grâce à l’octroi d’une bourse d’étude par le Prince de Reuss, il fréquente l’École des Arts appliqués de Dresde (1909-1914). Il est surtout influencé par l’expressionnisme, mais il se cherche aussi sa voie dans le cubisme et le dadaïsme.

Lors de la Première Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée. Il connaît la guerre des tranchées en Artois et en Champagne de novembre 1915 à décembre 1916. Il est frappé par ses horreurs, elles marqueront une grande partie de son œuvre future : «C’est que la guerre est quelque chose de bestial : la faim, les poux, la boue, tous ces bruits déments…. Tenez, avant mes premiers tableaux, j’ai eu l’impression que tout un aspect de la réalité n’avait pas encore été peint : l’aspect hideux. La guerre est une chose horrible, et pourtant sublime. Il me fallait y être à tout prix….»

Après 1920, de retour à Dresde, il s’oriente vers une peinture réaliste exprimant une critique acerbe de la société. Il est l’un des fondateurs du mouvement pictural die Neue Sachlichkeit (la nouvelle objectivité ou le nouveau réalisme). Ses thèmes principaux sont alors la guerre, le sexe et la figure humaine qu’il traite en critique féroce avec des couleurs froides et violentes. En 1927, il est nommé professeur à la Kunstakademie de Dresde.

otto dix

Autoportrait, 1925 (Origine : Wikipédia)

En 1933, Adolf Hitler et les nationaux-socialistes arrivent au pouvoir. Ils n’apprécient nullement les œuvres d’Otto Dix qui ne répondent pas aux canons d’un art nazi glorifiant la grandeur du guerrier et la femme, mère de famille, garante de la pérennité de la race. Il est donc l’un des premiers professeurs d’art à être renvoyé. Il est menacé de prison et de camp d’internement. Pour se faire oublier, il «émigre» vers l’Allemagne du sud-ouest, près du lac de Constance. Il se consacre à la réalisation de paysages.

En 1937, ses œuvres sont décrétées «dégénérées», retirées des musées, en partie détruites, en partie exposées lors de l’exposition nazie Entartete Kunst (Art dégénéré). La toile intitulée La Tranchée, 1923, est probablement détruite ; le triptyque La Guerre, 1928-1931, est interdit par les autorités nazies, pourtant, Otto Dix y voulait simplement transmettre la connaissance du caractère redoutable de la guerre pour éveiller les forces destinées à la détourner.

En 1944-1945, il est enrôlé dans l’armée allemande malgré ses 53 ans. Il est fait prisonnier en Alsace.*

Après la guerre, Otto Dix n’intègre plus les nouveaux courants artistiques. Le 25 juillet 1969, il meurt à Singen, victime d’un infarctus. Sa tombe se trouve à Hemmenhofen.

Réapparition d’une œuvre

Il s’agit d’une composition d’Otto Dix qu’on croyait disparue et qui refait surface sur le marché allemand lors d’une vente aux enchères, le 27 novembre 1987 à Cologne. A ce propos, Fritz Löffler écrit : « La découverte du quatrième triptyque d’Otto Dix est sensationnelle. Après le triptyque La Grande Ville de 1927 qui se trouve aujourd’hui dans les collections de la ville de Stuttgart, le triptyque La Guerre des collections d’État de Dresde, le troisième triptyque de 1934, peint al fresco au Musée d’Hygiène à Dresde et détruit au marteau par les nazis, le quatrième Vierge devant un fond de barbelés vient de refaire surface. Dix le peignit durant sa captivité en 1945 dans le camp de prisonniers de Colmar : une commande du commandant pour la chapelle. Il ne figura jamais en ce lieu, pour lequel Dix fit une réplique de la seule composition centrale...

Au centre trône Marie avec l’Enfant sur ses genoux devant un réseau de barbelés. Elle porte une cape bleue et une robe rose, la grenade de l’Enfant est aussi peinte en bleu. De longs cheveux blonds, séparés par une raie médiane, retombent sur sa cape. L’arrière-plan montre un paysage vosgien ; à gauche se détache un arbre, au centre domine une église qui sans doute ne répond à aucune localisation spécifique. Sur le volet droit, Paul** est à genoux, presque vu de dos, vêtu de brun avec une cape blanche. Il tient ses mains à moitié tendues vers la blanche silhouette d’ange, qui rappelle la Résurrection de 1941. Son pied gauche est fixé à la pierre qui porte la signature. Le volet gauche avec le personnage de Pierre** en montre le profil, la tête étant tournée vers la droite. Vêtement et cape sont d’une teinte brun clair. Ses mains levées au dessus de la tête sont prises dans des menottes foncées. A gauche, une ruine avec une ouverture béante. Comme sur le panneau de la Vierge, le brun du ciel a une tonalité blanchâtre. Le cadre est exécuté et polychromé selon les indications d’Otto Dix. ».

Cette évocation est un peu superficielle, Löffler n’y mentionne pas le moins du monde l’inspiration spécifiquement colmarienne du triptyque qui pourtant n’est pas sans rappeler les deux œuvres maîtresses de la ville : le retable d’Issenheim de Mathias Grunewald et la Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer...

La genèse de l’œuvre

En 1944, Otto Dix, ainsi que nombre de ses compatriotes, est enrôlé dans le Volksturm, cette armée du dernier recours, un agrégat hétéroclite d’adolescents et de vétérans de la Première Guerre mondiale ayant pour mission de sauver le Reich de la défaite. Il est affecté en Alsace.

Lors de la Libération, il est fait prisonnier et, avec des centaines de siens, il est interné dans le camp de prisonniers de guerre de Colmar établi dans l’enceinte de l’usine de filature et tissage Haussmann. Les hommes restent là plusieurs mois à attendre leur retour en Allemagne. Et pendant ces mois, il est possible pour les Colmariens et Colmariennes de quérir un prisonnier de guerre à la journée pour aider à toutes sortes de travaux car les Alsaciens incorporés de force sont loin d’être de retour au foyer

Lorsqu’il découvre qui est ce prisonnier, le commandant du camp lui commande une œuvre pour la chapelle et le met en relation avec Robert Gall (1904-1974), l’artiste peintre colmarien. Pour ce dernier, c’est un grand bonheur de rencontrer le maître allemand. Entre les deux naît et se développe une réelle amitié. Alors qu’Otto Dix est censé aider au jardinage, il peut s’adonner à sa passion dans l’atelier de son collègue alsacien.

Afin de trouver l’inspiration, où aller ? Là se trouvent réunis en ce moment deux chefs-d’œuvre : le Retable d’Issenheim de Mathias Grunewald et aussi la Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer. Robert Gall, grand admirateur et connaisseur de Grunewald, conduit son ami devant le retable. Durant des heures ils admirent, discutent, commentent. Ils sont fascinés par la force qui se dégage des panneaux de Maître Mathias contrastant avec la sérénité de la vierge du Beau Martin. Que la contemplation de ces deux œuvres ait influencé Otto Dix, est incontestable. C’est là qu’il a trouvé son inspiration.

Du Musée d’Unterlinden au paysage de Logelbach

Il suffit de regarder Marie du triptyque, elle est vêtue comme la Vierge-mère de Grunewald sur le panneau de la Nativité du Retable d’Issenheim, mais sa représentation de face, en pyramide n’est pas sans rappeler la Vierge au buisson de roses. Mais dans la représentation de Dix, Marie n’a pas le visage rayonnant de joie, non il est empreint de tristesse et ses cheveux blonds sont laissé à l’abandon sur ses épaules. Si Schongauer s’est contenté du fond de rosiers abritant des oiseaux, Grunewald meuble l’arrière plan d’un paysage que Robert Gall estimait être ressemblant à la région de Guebwiller. Otto Dix s’est donc attaché à meubler l’arrière plan avec ce qu’il avait sous les yeux. Pour nous, pas de doute, derrière la Vierge, à droite, c’est l’entrée de la vallée de Munster et à sa gauche, qui ne peut reconnaître l’église Notre-Dame de l’Assomption de Logelbach construite en 1927, le seul édifice religieux de style moderne alors en Alsace. D’ailleurs en y regardant de plus près, les montagnes du fond ne autres que le Grand et Petit Hohnack ! Et que dire du bâtiment devant l’église, les anciens se souviennent de la Henk, cette construction initialement conçue pour y suspendre les pièces de tissus à sécher et ultérieurement aménagée pour y loger les ouvriers des établissements Haussmann. Le Logelbach a beaucoup souffert lors des derniers mois de la guerre, bombes et obus ont démoli bien des constructions dans l’enceinte de l’usine. Il faut encore souligner sur le panneau gauche, derrière saint Paul, est représentée la foule des prisonniers dans le camp et parmi eux, une seule tête est identifiable : un autoportrait de l’artiste Otto Dix. C’est tout ce cadre que notre artiste avait sous les yeux tout au long des jours et qu’il a voulu intégrer dans l’œuvre pour rappeler les malheurs et la tristesse de la guerre.

Ainsi donc, le hasard de la guerre a amené un des plus grands maîtres de la peinture allemande du XXème siècle à s’inspirer des chefs d’œuvres colmariens et du cadre de Logelbach pour créer ce triptyque figurant les affres de la guerre.

Gérard LINCKS

*Dernières Nouvelles du Haut-Rhin, le 19 avril : "Communication officielle de la 1ère Armée Française du 18 avril 1945 : Poursuivant rapidement leur avance en Wurtemberg, les forces de la 1ère Armée Française se sont emparées des importants nœuds de communication de Freudenstadt, de Nagold et de Horb. Elles ont fait dans cette région plus de 1800 prisonniers au cours de la journée d'hier." C'est donc logiquement dans une de ces batailles en Forêt-Noire, et non pas en Alsace que le peintre, "trop faible pour fuir", est fait prisonnier et amené au Camp des prisonniers de l'Axe ou Camp international de Colmar qui se trouvait dans les locaux de l'entreprise de textile Haussmann à Logelbach. (p.195-197, Annuaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Colmar 2011-2012).

** Fritz Löffler confond Pierre et Paul.

Mathias Grunewald
Retable d'Issenheim - Mathias Grunewald
Musée d'Unterlinden - Colmar
Otto Dix
Vierge aux barbelés - Otto Dix
Eglise catholique Maria Frieden - Berlin
Martin Schongauer
Vierge au buisson de roses - Martin Schongauer
Église des Dominicains - Colmar

Otto Dix

OTTO DIX

Madona mit Stacheldraht und Trümmern mit Paulus und Petrus

(Vierge aux barbelés devant des ruines avec saints Paul et Pierre)

Triptyque - 1945

Photo Lempertz

Source : article de Gérard Lincks paru dans l'Annuaire N° 13 - 2010/2011 de la Société d'Histoire de Wintzenheim


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