Artiste maudit de l' "Art Dégénéré" (Entartete Kunst), Otto DIX est mobilisé dans le Volkssturm en février 1945. En stationnement dans tel ou tel bunker du côté de Bühl en pays de Bade, il est fait prisonnier en avril 1945, lors de l'avance alliée. Via Baden-Baden et Strasbourg, il rejoint le camp de Colmar-Logelbach implanté à l'usine Haussmann, celle qui a brûlé en 1961. Repéré par un officier français d'origine colmarienne qui le confronte avec l'article "DIX" de la Propyläen-Kunstgeschichte, il peut entrer en contact avec l'artiste-peintre Robert GALL, connu pour ses réalisations d'art sacré, telle la décoration inspirée de l'Hortus Deliciarum, toujours en place au Mont Sainte-Odile. C'est dans l'atelier colmarien de ce dernier, situé au 12 de la rue Charles-Grad, que la Madone devant des ruines et des barbelés (Madona vor Stacheldraht und Trümmern mit Paulus und Petrus, Tryptichon 1945) - l'esquisse et le tryptique - voit le jour. Une amitié sincère lie les deux hommes qui viennent et reviennent admirer le retable d'Issenheim et la Vierge au buisson de roses, alors provisoirement à l'Unterlinden.
Esquisse du tryptique (Musée d'Unterlinden)
Officiellement, DIX fait du jardinage chez les GALL, mais son hôte l'emmène aussi dans l'Alsace meurtrie, les champs de ruines de l'ancienne Poche de Colmar, où ils prennent des croquis de concert. Entretemps, DIX trouve du travail dans la carrosserie-automobile Durr et Gangloff et exécute des transparents de circonstance pour les fêtes de la Libération, avec l'effigie du général de Gaulle. C'est l'époque où, sans le nommer, Robert GALL l'associe chez Jess-Borocco à l'élaboration de l'inoubliable affiche célébrant la résurrection du monument Rapp abattu par les nazis. Rare et émouvant de symbiose créatrice transfrontalière dans le contexte peu favorable de l'après-guerre immédiat, soit - officiellement - le premier anniversaire de la libération, les 2 et 3 février 1946. Dans l'intervalle, le prisonnier de guerre Otto DIX exécute des œuvres de commande - des portraits, des paysages de nos Vosges - qui lui permettent de survivre relativement plutôt bien que mal jusqu'à sa propre libération et le retour en Allemagne, à Hemmenhofen, en février 1946 précisément.
Tryptique de Berlin, détail du panneau de gauche avec
Saint Paul : prisonniers de guerre rassemblés dans la cour Haussmann.
Otto Dix s'est représenté lui-même au premier rang (deuxième tête, sous la chaîne, à partir de la gauche).
Au camp de Logelbach, DIX avait été affecté au groupe des artistes, dont l'existence était liée au bon vouloir de l'autorité française. C'est là qu'il faut rechercher la genèse du tryptique dont l'esquisse se trouve désormais au musée de Colmar. Quant au tryptique peint, il avait trouvé preneur immédiatement et n'orna jamais la chapelle catholique des prisonniers. Une version simplifiée de la composition centrale fut faite ; laquelle se trouve actuellement à l'abbaye de Beuron, dans la haute vallée du Danube. Le tryptique peint, par contre se trouve à Berlin depuis 1988, dans une église de pèlerinage consacrée à Notre-Dame de la Paix (Maria Frieden : Bezirk Tempelhof, Ortsteil Mariendorf). L'esquisse, elle, accompagna DIX à Hemmenhofen et ne revint à Colmar qu'après sa mort en 1969, en hommage "post-mortem" à l'amitié qui l'avait lié au Colmarien Robert GALL.
(M. Louis-Paul Mathis, président de la société d'histoire de Colmar, intervention lors du colloque du 28 septembre 1992 à l'amphithéâtre de l'I.U.T.)
![]() Selbstbildnis im Profil nach rechts (1922) |
![]() Bildnis der Tänzerin Anita Berber (1925) |
En 1991, à l'occasion du centenaire de sa naissance, la Deutsche Bundespost a émis deux timbres-poste à la gloire d'Otto DIX.
Quand DIX fit partie du groupe d'artistes du camp, les travaux préparatoires pour l'autel de la chapelle démarrèrent. Mais seul le panneau de la Vierge fut terminé. Les volets latéraux - fixes - furent dessinés au fusain par le peintre SCHOBER, plus tard. Ceux-ci représentaient St. Pierre et St. Paul en captivité. La xylogravure ci-dessous montre les deux fusains de SCHOBER en place.
La version simplifiée de la Madone, visible sur une gravure de 1946, signée W. SCHICK
(un autre prisonnier de guerre artiste du camp de Logelbach). Elle se trouve actuellement à Beuron.
Moi-même, le prisonnier de guerre Hermann BERGES, revins malade au camp : c'était en décembre 1945. En ma qualité de sculpteur, je devins membre du groupe d'artistes. Otto DIX ainsi que les aumôniers des deux confessions étaient intervenus en ma faveur. Finalement, j'avais été chargé de l'aménagement des deux chapelles.
En été 1946, on me demande d'exécuter une copie de la Vierge de DIX. Il importait que l'original ne se trouvât plus au camp au moment de sa dissolution. C'était une bonne idée de l'aumônier. Seuls le Père ADALGAR, son sacristain et moi-même avions connaissance de ce projet très secret *.
Au camp se trouvaient encore 1500 prisonniers de guerre. La substitution réussit à merveille, pas la moindre rumeur (...). Ce même été, le panneau franchit clandestinement la frontière en direction de Fribourg-en-Brisgau puis de Beuron (...). Ce n'est que beaucoup plus tard, à Hemmenhofen, que DIX apprit notre coup monté de mousquetaires.
Personnellement, je n'ai pas assisté à la dissolution du camp. Mes propres œuvres sculptées furent elles aussi mises à l'abri. La croix cachée dans un transport de légumes franchit la frontière sans encombre. Quant à l'adolescent agenouillé, il trouva refuge dans la chapelle d'une prison d'Alsace (...).
(transcription d'un texte oral, adaptation libre et abrégée en français Louis-Paul Mathis, président de la société d'histoire de Colmar)
* Cette reproduction évoquée par BERGES a disparu ; l'original est actuellement à Beuron.
Source : Histoire de la poste à Colmar - Deuxième Guerre mondiale, Supplément n° 1 : Les prisonniers de guerre - La poche de Colmar (Michel Frick et Gilbert Miclo, Société Philatélique de Colmar 1996).
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