La libération de Wintzenheim fut pour moi la fin d'un cauchemar. En effet, depuis quatre années, pratiquement sans nouvelles de ma famille, j'attendais avec impatience cet événement.
Après les campagnes d'Afrique du Nord, de l'Italie, mon escadre de "Marauders Groupe Bretagne" fit mouvement sur Lyon. C'est au départ de cette base que se firent les missions de bombardement sur les objectifs de l'Allemagne. Vers la fin 1944, la Rhénanie et principalement les ponts du Rhin furent nos objectifs et les survols de Colmar et environs très fréquents. Malheureusement l'altitude des vols ne m'a jamais permis d'observer dans le détail l'activité des batailles de la "Poche de Colmar".
Grâce à la présence d'un officier de liaison de l'armée de terre auprès de notre État-major, j'ai pu me tenir au courant des opérations et des combats. C'est au retour d'un bombardement sur Schweinfurt que je fus informé de la libération de mon village natal.
De longue date, mon "patron", le Commandant d'Escadre, m'avait promis que, dès la libération, je pourrai me rendre au-dessus de Wintzenheim pour observer visuellement dans quel état se trouvait mon pays.
Le 20 février 1945 fut ce jour tant attendu. La météo était mauvaise ; les nuages gris et bas accrochaient les collines, la visibilité très médiocre. En débouchant par la trouée de Belfort sur Mulhouse, je fus saisi des ravages et des ruines laissés par la bataille. Partout des pans de murs noircis, des toits arrachés, des entonnoirs de bombes et d'obus. Voyant ce paysage de désolation, j'appréhendais de voir Wintzenheim. Après quelques minutes de vol qui me parurent interminables, c'est avec émotion que, débouchant au-dessus du "Rotenberg", je vis apparaître tout d'abord le clocher de l'église ; puis le pays en entier m'apparut. Au premier coup d'œil, je me rendis compte que la physionomie générale du pays n'avait pas changé.
De nombreux drapeaux ornaient encore les maisons, des guirlandes étaient accrochées en travers de la rue. Par un grand virage je revins sur le pays à très basse altitude. Je vis trois tuiles neuves sur le toit de la maison familiale ! Au troisième passage, j'aperçus ma mère, dans la cour, devant la maison, faisant de grands signes avec un mouchoir...
Une joie immense m'envahit et tout réconforté, je repartis avec mon "Marauder" vers Lyon, pour d'autres combats...
Commandant Ernest Ehrhart
Source : Archives Municipales de Wintzenheim
(collection Marlène Biedermann)
Ernest Ehrhart naquit le 18 mai 1915 à Wintzenheim, au foyer de Charles et Marie Ehrhart-Sutter. A l'âge de 17 ans, le jeune homme entra à l'école des techniciens de l'air à Nîmes où il obtint le brevet de pilote le 28 août 1933.
Entre 1934 et 1938, il fut affecté sur des bases aériennes de Lorraine : Thionville, Metz. A partir de 1939, il effectua plusieurs missions en Afrique du Nord (Tunis, Alger, Casablanca,...). En 1940, au moment de la défaite, il resta sur ce territoire et ce fut de là qu'il repartit pour prendre part à la libération de la France.
Avec le groupe de bombardement "Bretagne" il assura de nombreuses missions qui le portèrent, entre juillet 1944 et mars 1945, en Sardaigne, à Istres, Saint-Genas, Lyon, Saint-Dizier, puis au cœur de l'Allemagne, à Mengen.
A la fin de la guerre, il retourna sur le continent africain, en Mauritanie, entre 1947 et 1950. Mais après 1950, la guerre faisait rage en Indochine. Avec l'escadrille de liaisons aériennes "Vaucluse", il effectua de nombreuses missions de parachutages au Vietnam, et notamment au-dessus de Dien Bien Phu.
Il termina sa carrière militaire sur le sol national où il assura des fonctions de commandement sur plusieurs bases aériennes. En 1961, le commandant Ehrhart quitta l'armée pour se retirer à Wintzenheim. Il y décéda le 8 mai 1966, à l'âge de 51 ans, emporté par une maladie implacable.
Ernest Ehrhart était le frère de Jeanne, épouse de Georges Dietrich, lui-même frère de François Dietrich.
Source : Gérard Lincks, Annuaire de la Société d'Histoire de Wintzenheim, n° 2 - 1998
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