WINTZENHEIM 39-45

Frédéric Thomas, chauffeur du capitaine Simonet


WintzenheimPhoto-souvenir de Louis Hichard du 4 janvier 1919

Philippe Krick : mes énigmes de la Libération

L’après-midi du 2 février 1945 fut le premier souvenir qui soit resté ancré dans ma mémoire. Il m’a taraudé durant des années. J’observais du trottoir la colonne de véhicules militaires arrêtée le long de la rue à partir du 9 rue Clemenceau et, particulièrement l’automitrailleuse de tête et les soldats distribuant de petits paquets aux gens. Bref, debout sur le trottoir, sans bouger, en culottes courtes. J’avais 2 ½ ans.
J’ai longtemps douté de ce souvenir : je ne me rappelais même pas de ma grand-mère pourtant décédée en 1947. Quant à ma mère, elle me parlait du dur hiver 1945 au cours duquel elle devait casser la glace de la fontaine pour pouvoir y laver son linge.
Le doute a duré 60 ans. Je me suis établi au Québec, au pays « des quelques arpents de neige ». Le millénaire avait tourné lorsqu’en 2004 ma sœur Odile (Meyer) m’envoyait le livre historique de Guy Frank « Wintzenheim 1939-1945 » que j’ai épluché ligne par ligne; la solution vint : le soudain redoux du 2 février 1945 expliquait l’absence de neige et mon léger habillement. L’énigme était résolue.
Au Québec donc, notre fils le plus jeune, grâce à un échange scolaire, se lia d’amitié avec un jeune Nantais et, de fil en aiguille les parents devinrent amis.
Ainsi, lors de la visite de nos amis nantais au Québec en 2009 j’ai été très étonné d’entendre des gens de la vallée de la Loire connaître si bien Riquewihr, Colmar... bref l’Alsace : « C’est parce que mon père Frédéric y a fait la libération de Colmar et en a vanté sa beauté et son accueil chaleureux. » m’a répondu son fils Guy Thomas.
Or, Frédéric Thomas venait de décéder en avril 2009. Une lettre envoyée à sa mère du front près de Colmar le 3 février 1945 a été retrouvée dans ses papiers. Il l’avait signée Didite, son petit nom. Il avait 20 ans.
Ligne par ligne encore, j’en ai analysé les descriptions et suis arrivé à la conclusion que Didite était probablement le chauffeur de l’automitrailleuse du capitaine Simonet, l’automitrailleuse de la colonne en partance pour Wettolsheim que j’observais le 2 février 1945 en fin d’après-midi, figé, exactement à la même place que le garde d’honneur à l’Étendard qui salue sur la photo souvenir de Louis Hichard du 4 janvier 1919, mais... vingt six ans plus tard.

Philippe Krick - Coteau-du-Lac (Québec) 26-12-2016


Lettre de Frédéric Thomas du 3 février 1945

Sur papier à entête de la 6ème Batterie S.P.73.621 et fanion de couleur

Frederic THOMASFrédéric THOMAS et son automitrailleuse (collection Guy Thomas)

Au front le 3 février 1945 près de Colmar.

Ma chère Maman, chers tous,

Ma chère Maman, je crois que je ne passerai pas d’autres jours comme hier : la prise de Colmar. Là nous avons pris Colmar d’assaut. Il y avait trois chars devant nous puis la voiture du commandant et la mienne, celle du capitaine. Suivait de l’infanterie.

Je conduisais la voiture. Nous avions comme mission de traverser à tout prix la ville en tirant à la mitrailleuse. Inutile de te dire que je donnais tous les gaz à la voiture. Quand tout à coup un chauffeur qui était dans la voiture précédente lève les bras. Il venait d’être atteint par une balle. Puis, comme la voiture partait n’importe où, j’ai tamponné. Mais une petite marche arrière, une marche avant, et de nouveau à pleins gaz. Les mitrailleuses crépitaient. Les Fritz nous tiraient des étages. Je t’assure qu’on leur répondait.

À ce moment là on n'a plus peur de mourir, on n'y pense pas, on est grisé par le feu, on fonce ! Il était interdit de faire des prisonniers : il fallait tout tuer.

Nous avons mis environ une heure pour traverser Colmar. Puis nous avons encore foncé et nous nous sommes arrêtés hier soir dans un petit village où nous sommes encore. Nous avons été reçus à bras ouverts. Tous ces braves Alsaciens pleuraient de joie. On m’a offert une petite chambre avec un bon lit où j’ai très bien dormi. Il y avait deux nuits que je ne dormais pas.

Maintenant une demi-journée de repos pour nous remettre des fatigues et de nouveau en avant. Dans mon véhicule blindé je ne crains presque rien : les balles ricochent.

Je t’écrirai dès que j’irai au repos car après cette campagne je crois que l’on va y aller pour de bon. À bientôt la permission.

Je vous embrasse tous bien fort. Priez pour moi pour que Ste-Thérèse me protège.

Bons baisers.

Didite

P.S. Je viens de recevoir tes deux lettres.



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