WINTZENHEIM 39-45

Maquis du Hohlandsbourg : témoignage (Haerty)


WintzenheimMarie-Louise Haerty, née Koch (Mimi) est née à Wintzenheim le 9 octobre 1928 (photo Guy Frank, 13 juillet 2004)

Le témoignage de Marie-Louise Haerty, née Koch

Famille de 9 enfants, nous habitions à Wintzenheim, 5 rue des Canards. Bravant l'occupant à la moindre occasion, mon père Aloyse Koch (père) était constamment surveillé ou recherché par la police ou la gendarmerie. Heureusement que mon frère, Aloyse Koch (fils) avait réussi à amadouer le gendarme Marquardt, grand amateur de schnaps et de vin blanc. Plus d'une fois, en lui servant à boire plus que de raison, il a pu arrondir les angles et éviter le pire.

Un jour, mon père m'a emmenée chercher du beurre et du fromage au marché noir, marchandises que nous partagions au retour avec des voisins et des ouvriers de l'usine où il travaillait. Nous sommes partis à vélo vers trois heures du matin, en direction de Tannach. Il faisait froid car nous étions en hiver. C'est moi qui entrait dans les fermes. Mon père me disait : "Demande aussi s'ils ont du jambon !". Au retour, mes freins ont lâché. Mon père a alors attaché mon vélo avec une corde, et les militaires stationnés aux Trois-Epis ont vu passer un drôle d'équipage : une jeune cycliste retenue dans la descente par le deuxième vélo, portant l'une un sac rempli de fromages et l'autre un sapin scié dans la forêt en prévision des fêtes de Noël. Il m'a enfin lâchée au niveau de la Maison Vosgienne (Vogesa Hisla) peu avant d'arriver à Turckheim.

Un autre jour, un membre de la Landwache * est venu prévenir mon père qu'une opération de recherche serait lancée dans la nuit pour retrouver des réfractaires, et que mon père était l'un des premiers sur la liste. Il a dit : "Qu'ils viennent, je les attends de pied ferme !". Moi, j'ai pris peur et suis allée dormir chez mon frère, Aloyse fils, qui habitait la maison voisine. Tôt le matin, mon père a vu la Landwache se rassembler devant le Cheval Blanc. Il est parti à bicyclette, comme chaque jour, travailler à Colmar. Quelques instants plus tard, les hommes en uniforme frappaient à la porte : "Du Schwein Hund, komm heraus !". Mais personne n'a bougé. Comme ils continuaient à frapper de plus en plus fort, ma sœur a fini par leur ouvrir. Constatant que le lit de mon père était encore chaud, ils ont demandé où il se cachait. Ma sœur leur a dit qu'il était parti au travail, mais ils refusaient d'y croire et ont fouillé toute la maison, jusqu'au fumoir. Ne le trouvant pas, ils se sont rendus chez son employeur. Quand un collègue a prévenu mon père que la police l'attendait à l'entrée, il a sauté par la fenêtre et s'est enfui vers Volgelsheim où il s'est réfugié chez des connaissances, qui tenaient là-bas un café.



WintzenheimAloyse Koch père, 1887-1951. Détail d'une photo de l'Union Sportive Ouvrière de Wintzenheim, après la guerre (photo Alphonse Voegtli, collection Salomé Koch)

Puis mon père et mon frère Marcel ont rejoint le maquis du Hohlandsbourg. A partir de ce jour, nous avons été surveillés encore plus étroitement par les autorités. Nous étions sur le qui-vive, et plus personne ne rentrait chez nous sans avoir sonné quatre fois. C'était le signal de reconnaissance pour les maquisards qui descendaient au village toutes les deux nuits, chercher des provisions. Parfois, ils étaient accompagnés des Ukrainiennes que j'aimais bien, surtout Nina. Ils venaient faire le plein de pommes de terre, boites de sardines, miches de pain que nous pouvions leur acheter grâce aux cartes d'alimentation que fournissaient les familles ou les voisins complaisants. Notre divan était constamment encombré de linge propre que les maquisards échangeaient contre le sale. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces piles de linge n'ont jamais étonné les gendarmes quand ils venaient fouiller la maison.

Parfois, ce sont aussi des armes ou des munitions que les partisans récupéraient chez nous. Ce matériel leur parvenait via le restaurant "A la Ville de Colmar" où travaillait une amie de mon frère Marcel. Quand j'y allais, c'était toujours un cabas à la main. Un jour que je sortais de chez Joseph Staehle, dissimulant dans mon sac un revolver et une lettre destinée à mon frère, j'ai aperçu deux hommes en costume et portant un chapeau. Je me suis retournée plusieurs fois en revenant à la maison, et ils me suivaient toujours. On m'avait bien fait la leçon : si tu vois des hommes que tu ne connais pas, avec un chapeau, méfiance ! Rentrée chez moi, nous avons immédiatement brûlé la lettre et caché le revolver. Il était temps, car déjà les deux hommes de la Gestapo frappaient à la porte. Mais ce jour-là, ils n'ont rien trouvé.

Lors d'une autre perquisition, ils ont découvert des photos et des papiers, et nous ont emmenées, ma sœur et moi, à la prison de Colmar. Durant trois jours, nous avons été interrogées. Ils voulaient savoir où étaient notre père Aloyse et notre frère Marcel, ou encore qui était sur ces clichés trouvés à la maison. Ils s'agissait de photos de René Furstoss et d'autres réfractaires, mais nous avons tenu bon, prétendant que nous ne connaissions aucune de ces personnes, qu'il s'agissait probablement de vagues connaissances de papa que nous n'avons jamais rencontrées. Je me rappelle qu'en sortant de la prison, nous avions faim et juste assez d'argent pour acheter un petit pain à la pâtisserie Setzer.



WintzenheimMarcel Koch (collection Salomé Koch)

Fin 1944, j'avais 14-15 ans, et je travaillais comme apprentie chez Madame Joannès, couturière rue du Tir à Colmar. Un matin, comme le tramway ne fonctionnait pas, j'attendais au niveau du Cheval Blanc. A côté de moi, M. Birgy m'a dit : "Toi aussi tu veux aller à Colmar ? Si seulement quelqu'un pouvait nous emmener...". J'ai arrêté une voiture attelée conduite par des militaires Allemands. Ils ont accepté de nous faire monter. A la Croix-Blanche, nous avons croisé un Panzer dont le bruit a effrayé les chevaux. Ceux-ci se sont affolés et sont partis à travers les champs. La voiture a basculé, et je me suis retrouvée dans la boue, dégoulinante de sang. J'ai été emmenée chez ma marraine, Anne Straehle, qui habitait route d'Ingersheim. Quelqu'un a prévenu mon père qui se cachait dans le maquis du Hohlandsbourg. Il n'a fait ni une ni deux, est descendu à la maison, a pris son vélo et est venu me récupérer. Et c'est ainsi que, tout recherché par la police qu'il était, il m'a prise sur la barre de sa bicyclette, et bravant les contrôles aux barrages antichars, m'a déposée à la maison avant de remonter rejoindre les partisans.

* Landwache : garde territoriale. Police recrutée parmi la population civile. Les Landwächter étaient requis par la Feldgendarmerie pour procéder dans les campagnes à la chasse aux aviateurs alliés et aux prisonniers évadés. Hilfspolizei : police auxiliaire. Recrutée dans l'élément autochtone de l'ancienne police française en ville. Schutzpolizei : police urbaine essentiellement allemande. (Source : L'Alsace dans la guerre 1939-1945, Bernard Le Marec et Gérard Le Marec)

 

 

 

Source : Marie-Louise Haerty, témoignage recueilli par Guy Frank le 13 juillet 2004



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