WINTZENHEIM 39-45

Le Maquis du Hohlandsbourg (2)


René Furstoss F.F.I.A. - Wintzenheim le 27 février 1945

Compte-rendu concernant l'affaire H...

Wintzenheim

Premier compte-rendu de René Furstoss sur l'affaire du Hohlandsbourg, écrit trois semaines après la Libération

Nota : Le texte de 5 pages, dactylographié par René Furstoss, a été reproduit tel quel, sans corrections autres que quelques mots ajoutés entre [...] pour une meilleure compréhension. Les noms de Georges H... et de sa fille Georgette G..., en toutes lettres dans l'original, ont été abrégés.

Le 18 octobre 1944 au lieu de me présenter au rassemblement avisé par le Gestellungsbefehl [ordre de mobilisation], je gagnais le maquis comme tant d'autres camarades alsaciens qui avaient mare de l'oppression allemande.

Un blockhaus de la guerre de 1914-1918, situé dans la montagne au sud-ouest de Wintzenheim à environ 1 heure et demie de marche, aménagé aussi bien que mal, nous servait de refuge. Nous étions là-haut 9 camarades, dont je nommerai ci-dessous les noms, à partager une vie d'exilés. Pour assurer le ravitaillement il fallait descendre 3 à 4 fois par semaine au village, ce qui fut fait à tour de rôle. Quelques bonnes familles patriotes se dépensaient pour nous procurer les vivres. Il fut de même pour la question des armes et munitions qui pour la plus grande partie furent volées aux boches. Nous passons ainsi à peu près une dizaine de jours une vie relativement tranquille cherchant des châtaignes et des champignons pour changer un peu nos plats.

Un collaborateur du pays [du village], le dénommé H... Georges, qui tout le temps errait dans la forêt pour ramasser les fruits de la saison, est devenu un grand danger pour nous. Il fit allusion au pays à un blockhaus qu'il avait découvert et qui maintenant était fermé par une porte, il fallait prévenir la gendarmerie afin de dénicher les partisans qui certainement s'y cachaient. On décidait alors de supprimer à la première occasion favorable ce témoin gênant. C'est ainsi que vendredi 27 octobre 1944, H... fut repéré dans la forêt en train de ramasser des châtaignes. Après un très court interrogatoire se rapportant à ce qu'il était en train de faire, il nous regardait d’un air très méfiant, Jules aussitôt sortit son pistolet et à bout portant lui logea une balle dans le crâne, c'en était fait, le traitre avait payé son bavardage. Une fosse fut vivement creusée et après avoir prélevé l'argent sur lui (12 Rm environ qui furent remis au garde-forestier Murat afin qu'il fasse lire une messe pour le défunt), on l'enterra. Après quoi on remontait au blockhaus pour délibérer sur les précautions qu'il fallait prendre. Dès lors une sentinelle permanente fut postée. Le lendemain au soir trois camarades, parmi eux Jules le justicier, s'en allaient au village pour renouveler la provision de vivres mais aussi pour glaner quelques renseignements sur l'objection [opinion] publique concernant la disparition de sieur H... . Ainsi ces derniers ayant eu vent d'une battue organisée par la gendarmerie avaient hâte de nous communiquer cette nouvelle. Ils remontaient donc dimanche de bonne heure et donnaient l'alarme. Jules à qui le terrain commençait à devenir trop chaud, à en juger son attitude, n'était plus revenu. L'installation intérieure du blockhaus fut donc vite démolie, la provision de vivres ainsi qu'une partie des munitions furent cachées. Puis après avoir camouflé le refuge on quittait les lieux en ayant soin de poster 3 sentinelles pour nous signaler le fruit des recherches. Ainsi vers le soir en apprenant que l'équipe de recherche est rentrée bredouille, rassurés nous regagnâmes notre refuge. La nuit se passa sans incidents. Puis vint le jour fatal, il faisait un sale temps brumeux qui nous empêchait de voir à longue distance ; nous reprenions donc notre train de vie habituel. Ce matin-là deux camarades habitant dans le blockhaus voisin, Marcel et Paul, venaient nous faire leurs adieux. Ils avaient l'intention de quitter la contrée. Après le dîner [déjeuner], il était à peu près 14h30, nous, Aloise, Marcel, Paul, Nina et moi nous étions réunis autour du feu de camp donnant libre cours à nos réflexions. Le restant du groupe faisait la sieste à l'intérieur du blockhaus. Tout à coup Marcel nous dit : "Attention voilà les flics". A l'instant même le brigadier Marquart de Wintzenheim et un gendarme que je ne connaissais pas, l'arme au poing, accompagnés de Georgette G... fille de H... surgirent d'un fourré et nous sommèrent de lever les mains, toute résistance était à l'instant impossible. Nous n'avions aucune arme à notre portée. Koch Aloise alors voulait rentrer dans le refuge pour soi-disant chercher ses affaires, mais sous la menace du révolver braqué sur lui il dut renoncer à ce projet.

Les boches gueulaient comme des fous, nous menaçaient de nous abattre au moindre signe de fuite. Le brigadier alors de son sifflet sortit quelques coups stridents, puis appelait quelques noms ainsi que "Meyer, Herrmann, etc" puis "Landwache vor". Pour parler franchement je croyais que c'en était fait de nous. Après toute cette comédie, car s'en était vraiment une, les deux boches nous fouillaient pour s'assurer que nous n'étions porteurs d'aucune arme. C'est alors [que], profitant d'un moment d'inattention, Aloise pris 1a poudre d'escampette, se foutant pas mal des 4 coups de feu tirés sur lui par le brigadier Marquard qui se reprochait maintenant de n'avoir pas tout de suite abattu ce chef de brigands "ce cochon de Koch". Marquard qui me connaissait et après m'avoir questionné sur ce que je faisais là-haut, voulait m'amadouer en me promettant de me sauver la tête si je lui dénoncerais les noms des camarades qui étaient avec moi. Il m'ordonna d'entrer dans le blockhaus pour en faire sortir les camarades ainsi que pour chercher les armes. Je ressortis aussitôt, mais bredouille. Sur ce fait, il me somma une deuxième fois de rentrer, lui, l'arme au poing, me suivait de près. A l'intérieur il furetait [dans] tous les coins, il ordonna aux habitants [occupants] de se rendre, mais en vain, personne ne se présenta. Au contraire, deux d'entre eux, Henri et Marcel, ayant réussi à déblayer la sortie du refuge (celle-là avait été comblée pour certains motifs) venaient de s'échapper, le gendarme leur tirait dessus, d'ailleurs peine perdue. Je ressortais aussitôt avec le brigadier qui était d'humeur rageuse. Après cet incident mes deux camarades Paul et Marcel furent enchainés, moi on me laissa libre n'ayant plus eu de menottes [en réserve]. J'ai pu alors questionner la G... qui m'apprit que les gendarmes étaient seuls, qu'il n'y avait nulle trace de "Landwache", elle me conseillait aussi de m'échapper, chose d'ailleurs très risquée car nos gardiens redoublaient de vigilance. Enfin avant de procéder au transfert de ses prisonniers, le brigadier Marquard commit l'erreur fatale de remettre à Marcel sa mitraillette naturellement déchargée afin qu'il la portât.

Wintzenheim

23 et 24 juin 1945 : Fête de la Libération et de la Victoire à Colmar.
La Victoire du Maquis, char des F.F.I. de Wintzenheim rappelant le drame du Hohlandsbourg.

Sur ce, on prit le chemin qui devait nous conduire à l'endroit destiné aux déserteurs et partisans. On marchait à la file indienne, en tête était Marquard, derrière lui Marcel et Paul, puis moi-même, ensuite venait Nina la petite russe accompagnée de la femme G..., le gendarme fermait la marche. Au cours de la route Marcel m'interpella à plusieurs reprises, insistait beaucoup pour que je marchasse à côté de lui ; je ne pouvais lui obéir à cause du boche qui se tenait derrière et qui menaçait chaque fois de tirer. Nous marchâmes ainsi pendant un quart d'heure non sans avoir été à plusieurs reprises engueulés par les boches qui avaient hâte d'arriver au village. Chemin faisant le brigadier Marquard épaula sa carabine et lâcha un coup dans la forêt. Ce coup était sans doute [destiné] à impressionner nos camarades qui auraient pu nous venir en aide. Le brigadier voulait recharger son arme, mais il n'eut plus le temps, car à l'instant même un coup sec fut lâché par une arme de petit calibre (le 6.35 mm de Paul) ; je m'aplatissais aussitôt par terre. Je vis alors Marcel qui par une rafale de sa mitraillette envoya rouler Marquard dans les branchages d'un buisson, puis se retournant prestement il déchargea son arme sur le gendarme qui était bouche bée. Ce dernier n'était que blessé et en outre il avait son pistolet avec lequel il ouvrit le feu. Il fallait l'achever. Paul et Marcel, toujours enchainés, étaient sur lui. Ils m'appelèrent à l'aide. Moi revenant de mon émotion je me portais vivement à leur secours. J'immobilisai la main armée de notre victime qui se débattait comme un forcené nous traitant de voyous et de lâches.

Enfin Marcel réussit à lui placer le canon de la mitraillette sur le crâne, ordonna de presser sur la gâchette ce que je ne pouvais faire étant trop occupé à immobiliser le bras du boche. J'eus d'ailleurs une petite éraflure d'une balle tirée par le coquin. Ce fut alors Paul qui lui donna le coup de grâce en lui logeant une rafale dans la cervelle. Tout d'abord, je procédais à la fouille des cadavres à la recherche de la clef du cadenas pour délivrer les deux enchainés. Ce fut une affaire de quelques minutes, après quoi nous nous emparions de la carabine, du révolver ainsi que des munitions des victimes. Pendant le déroulement de cette scène, Nina avait pris la fuite, la femme G… qui alors était la seule témoin, croyant qu'on allait la supprimer aussi, se jeta à mon cou me priant de l'épargner, qu'elle était innocente, qu'elle ignorait que le blockhaus était habité. Je lui dictai donc ce qu'elle avait à dire : Ne parles que de deux types étant donné qu'elle ne connaissait pas Paul et Marcel, marchez lentement afin que nous eussions le temps de nous mettre hors d'atteinte. D'ailleurs elle nous conseillait de partir de suite. Après m'avoir juré de ne faire allusion qu'aux faits relatés, elle prit le chemin du village. Nous, Paul, Marcel et moi nous remontions au refuge en poussant à maintes reprises notre cri de ralliement, espérant par ce fait pouvoir rassembler nos camarades ; ce fut chose vaine, car nul ne se présenta. Nous emballions donc nos affaires, puis nous prenions le chemin conduisant au Stauffen. Là, après de maintes propositions, nous nous décidions d'aller demander conseil à l'Abbé Vuillemin de Zimmerbach. Nous cheminions donc vers Soultzbach où nous attendions la tombée de la nuit pour passer la route de Munster ainsi que la Fecht. Arrivés à la route qui monte à Walbach, il fallait prendre ses précautions pour passer inaperçu. En passant le premier, je vis à ma droite deux silhouettes qui venaient à ma rencontre, à l'instant même des ordres "Halte, halte !" furent lancés. Je me suis mis à courir, toute résistance aurait été vaine n'ayant eu comme arme qu'un révolver 6.35. Je me dirigeais donc à vive allure vers la forêt que je longeais jusqu'à Zimmerbach pour ensuite descendre au village. Je me présentais alors au presbytère espérant y trouver Mr l'Abbé qui sans doute m'aurait donné des instructions, mais celui-ci était absent. Ainsi, pendant mon attente, voilà que Paul et Marcel s'amènent. Je fus naturellement fort surpris, car j'avais la forte conviction qu'ils ont dû être arrêtés lors de l'incident relaté. J'appris seulement alors que ce n'était pas les deux silhouettes (sentinelles postées au pont) qui m'avaient sommé de m'arrêter. Mais bien au contraire ce fut Paul qui avait lancé ces ordres en les tenant en respect avec sa carabine, [leur] sommant de faire demi-tour.

Après quoi les deux frères sont venus me rejoindre. Le soir même l'Abbé arriva et l'ayant mis au courant de notre aventure, il nous hospitalisait [donna l'hospitalité] pendant quatorze semaines, jusqu'à la Libération.

Noms des camarades habitant le Blockhaus :
- Koch. Aloise, de Wintzenheim
- Koch Marcel, de Wintzenheim
- Furstoss René, de Wintzenheim
- Straihly Pierre, de Colmar
- ? Paul, de Colmar
- Eichholzer Henri, de Turckheim
- Nina, Valentina et Alexandra, jeunes filles russes évadées du camp de travail
- Vogel Marcel et Paul, habitants du blockhaus voisin.

Signé René Furstoss


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