Article de Jean Haeffele paru dans L’ALSACE du 7 juin 2025 - ZOOM
Paul Hirlemann est né le 7 juin 1922 à Wintzenheim. Rien ne prédestinait ce jeune employé des Établissements Herzog, filature et tissage, à Logelbach, à entrer en résistance et à devenir membre d’un réseau structuré à Lyon.
Lorsque, le 19 juin 1940, les premiers Allemands ont
traversé Wintzenheim, à aucun moment Paul Hirlemann n’avait pensé devoir un jour
marcher en ordre serré avec l’uniforme vert de gris. Mais déjà sa résolution
était prise, jamais il ne mettrait cet uniforme.
Au fil des jours, les contraintes sur les jeunes Alsaciens
et Lorrains s’accumulaient et, dès la mi-juillet, la classe 1922 était convoquée
pour le Reicharbeitsdients (RAD). Il décida donc de s’évader, caché dans un
camion faisant la liaison entre son entreprise et la frontière suisse.
Avant de partir, il a trouvé un stratagème pour éviter à
son entourage d’être inquiété. Les autorités nazies considéraient que si un
jeune se soustrayait à ses obligations, sa famille était forcément au courant
et, ayant omis de le dénoncer, ils devaient être déportés dans un camp de
travail, à Schirmeck, par exemple.
Paul a pris quelques jours de congé auprès de son
employeur, faisant savoir qu’il allait voir une tante à Strasbourg. Avant la fin
de sa période de congé, son père s’est présenté aux autorités allemandes en
signalant la disparition de son fils qui n’était pas revenu de Strasbourg, en
leur demandant instamment de le retrouver. Interrogée, la tante - au courant de
rien - n’avait pas vu son neveu, lequel était passé en Suisse par l’enclave de
Neuwiller, puis en France, à Lyon - via Genève - après d’épiques tribulations.
Paul Hirlemann a pu être embauché à la mairie centrale de
Lyon en avril 1942. Après l’invasion de la zone libre par les Allemands, le 11
novembre 1942, il est devenu Jean Pegaz, né à Bougie, en Algérie (aujourd’hui
Béjaïa). Recruté comme agent P2, chargé de mission, il a intégré le réseau
Action Londres du BCRA (Bureau central de renseignement et d’action) dirigé par
le colonel Passy depuis Londres.
Tout en quittant son emploi, en novembre 1943, il a
conservé son statut comme couverture, pour se consacrer entièrement au réseau,
portant des télégrammes à vélo, puis assurant la liaison avec
Villefranche-sur-Saône. Il a ensuite remplacé un agent de liaison capturé,
effectuant le trajet Lyon-Paris et retour, ce qui impliquait de passer la ligne
de démarcation à chaque voyage. Il a assuré cette liaison jusqu’au 30 juillet
1944, date à laquelle il est resté bloqué à Paris.
Paul Hirlemann a assuré, avec sang-froid, plus de 60
allers-retours de Lyon à Paris en sept mois avec, à chaque fois, un contrôle de
police ; il transportait des postes émetteurs-récepteurs, des armes, de
l’argent, et des messages.
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La vraie carte d’identité de Paul Hirlemann,
délivrée par le commissariat de police de Lyon, le 8 novembre 1941. |
La fausse carte d’identité de Paul
Hirlemann, au nom de Jean Pegaz, datée du 30 novembre 1942. |
Un jour, transportant une imposante valise contenant un
poste émetteur-récepteur et deux gros accus, il a été contrôlé en gare de Lyon à
Paris. Ouvrant sa valise, il s’est écrié : « Un voltmètre pour camion et deux
accus. » L’agent l’a regardé dans les yeux avec insistance, en lui disant : « Ça
va, fermez la valise, vous pouvez partir. » Il a toujours été persuadé que ce
policier de la préfecture de police de Paris avait tout compris.
Paul Hirlemann a failli tomber à plusieurs reprises, en
particulier le 18 mai 1944, suite à l’arrestation de plusieurs membres de son
réseau ; il a cru que son heure était arrivée, mais aucun d’eux n’avait parlé.
Un autre fois, le 9 juillet 1944, lors d’un contact à prendre place Voltaire à
Lyon, il a remarqué un homme portant un imperméable gris avec double empiècement
autour du col, probablement un policier allemand en civil. Pénétrant dans un
magasin, il a aperçu d’autres individus pareillement vêtus, tous aux aguets.
Avoir contribué à son niveau à la défaite des nazis était
la plus belle des récompenses pour Paul Hirlemann. Mais le prix à payer était
lourd, son réseau ayant perdu 70 % de son effectif.
Après la guerre, il est revenu vivre à Wintzenheim, où il
est devenu employé de bureau dans une entreprise de Turckheim. Il a été décoré
de la Légion d’honneur en 2002, et est décédé le 20 décembre 2006.
Source : SHW Mémoires de guerre de Paul Hirlemann - mars 2006.
Article de Jean Haeffele paru dans L’ALSACE du 7 juin 2025 -
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7 août 1941 Convocation de Paul Hirlemann au RAD ReichsArbeitsDienst, travail obligatoire en Allemagne (collection Paul Hirlemann) |
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Paul Hirlemann en 1944 à Lyon
La photo est signée F. Soubrier, 77 rue Pierre-Corneille. Ce photographe lyonnais faisait souvent des photos pour les fausses cartes d'identité des incorporés de force alsaciens qui souhaitaient déserter de la Wehrmacht. Stationnés au Fort Lamotte, ils se retrouvaient le soir au café Woehrlé. Le photographe leur prêtait une cravate et une veste civile en remplacement de l'uniforme allemand, le temps de faire la photo...
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Paul Hirlemann
en juin 1945 à Wintzenheim avec René Koch, son compagnon d'évasion en 1941 (collection Paul Hirlemann) |
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Paul Hirlemann (photo Guy Frank, 29 mars 2004) Je me suis évadé d'Alsace avec un camarade, René Koch, le 7 octobre 1941, pour me soustraire au RAD. Nous sommes entrés en Suisse par l'enclave de Neuwiller. Par les bons soins du consulat de France à Bâle, nous sommes partis le samedi 11 octobre suivant sur Genève puis sur Lyon où, le 13 au soir, nous avons été pris en charge par un centre de la rue Scaronne. Dès le lendemain, deux sous-officiers alsaciens y sont venus pour recruter des jeunes. Mon camarade s'est immédiatement engagé mais moi je n'étais pas intéressé par l'armée de Vichy. Voulant me faire délivrer une carte d'identité, un commissaire de police, auquel je n'avais pu exhiber que le document délivré par le consulat de Bâle, m'a rabroué en me disant qu'il ne pouvait rien faire pour moi et que je n'avais qu'à retourner chez moi. J'ai finalement obtenu cette carte après intervention de l'antenne de la préfecture du Haut-Rhin repliée à Lyon. |
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La première carte d'identité obtenue à Lyon le 8 novembre1941, comportait sa véritable identité et sa véritable date de naissance, le 7 juin 1922 à Wintzenheim Par un autre camarade de mon village, Lucien Goetz, également évadé, j'ai fait la connaissance d'Alsaciens établis à Lyon depuis avant la guerre, la famille Woehrlé, qui tenait un café-épicerie-charcuterie. Le soir de mon arrivée, oh surprise ! nous nous trouvions à sept jeunes évadés de Wintzenheim réunis autour d'une table. A cette époque, les restrictions étaient sévères et nous étions bien contents de recevoir des casse-croûte sans tickets. Un gradé de l'armée, alsacien, m'a placé comme civil au 11e régiment de cuirassiers jusqu'en avril 1942, date à laquelle j'ai été embauché à la mairie centrale de Lyon. Alors que je me trouvais affecté au bureau des distributions des bons de chauffage, j'y étais enregistré comme requis, ce qui m'a valu d'échapper à l'enrôlement dans les Chantiers de Jeunesse et dans les Compagnons de France. Entre-temps, j'ai revu deux autres camarades de mon village, Robert Clor et René Schmitt, eux aussi évadés, ce qui faisait déjà neuf hommes. Après l'invasion de la zone dite libre par les Allemands, le 11 novembre 1942, il a fallu redoubler de précaution. Mon identité a été modifiée : je suis devenu Jean Pegaz, né à Bougie (Algérie). Dans ce temps-là, les réseaux de résistance se multipliaient et c'est ainsi que je suis entré au réseau Action-Londres et devenu agent P2, chargé de mission. Ce réseau, comme beaucoup d'autres, dépendait du BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) dirigé par le colonel Passy (Dewavrin) à Londres. |
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Par la suite, Paul Hirlemann deviendra Paul Pegaz ou Jean Pegaz, né en 1919 à Bougie en Algérie Tout en me laissant continuer à travailler à la mairie centrale de Lyon, qui me servait de couverture, mon chef dans la Résistance m'a demandé de quitter cet emploi en novembre 1943 pour me consacrer entièrement au réseau. Mon premier travail a été de porter des télégrammes à Heyrieux, à bicyclette, pendant trois semaines ; après quoi, il m'a fallu assurer la liaison avec Saint-Martin-en-Haut. Peu après, j'assurais la liaison avec Villefranche-sur-Saône. Après l'arrestation d'un agent de liaison qui effectuait le trajet Lyon-Paris et retour, on m'a demandé de le remplacer, ce qui impliquait de passer la ligne de démarcation à chaque voyage. Cette ligne avait été maintenue après l'invasion de la zone libre, mais on pouvait la traverser avec des papiers "en règle". J'ai pu assurer cette liaison jusqu'au 30 juillet 1944, date à laquelle je suis resté bloqué à Paris. J'ai effectué plus de soixante allers-retours de Lyon à Paris en sept mois, avec à chaque fois un contrôle par les Allemands ou par les miliciens de Vichy, tout en gardant mon sang-froid. Je possédais toujours une attestation (fausse) de la mairie centrale de Lyon qui me permettait d'être "couvert", mais le fait de comprendre l'allemand m'était d'une grande utilité. Les "marchandises" transportées consistaient surtout en postes émetteurs-récepteurs, en armes, mais aussi argent et messages. Lors de mon premier voyage, j'avais une grosse valise renfermant un poste émetteur-récepteur et deux gros accus lorsque j'ai été interpellé en sortant de la gare de Lyon à Paris par trois civils. L'un d'eux voulant savoir ce qu'il y avait dans la valise, je l'ai ouverte séance tenante en lui répondant : "un voltmètre pour camion et deux accus". Il a jeté un coup d'œil et m'a répondu avec un petit rire méphistophélique, en me regardant dans les yeux : "Ca va, fermez la valise, vous pouvez partir". Encore aujourd'hui, je suis persuadé que ce policier de la préfecture de police de Paris avait compris. |
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Poste radio émetteur-récepteur avec ses écouteurs J'ai véritablement eu peur à trois reprises. La première
fois, en mars 1944, quand deux Allemands, casqués et armés, sont venus au
café Woehrlé. Me trouvant dans la cuisine, j'ai immédiatement pris la fuite.
En réalité, il s'agissait de deux Alsaciens incorporés de force qui amenaient
du courrier d'Alsace destiné à madame Woehrlé comme je l'ai appris plus tard.
Les Allemands, en raison des attentats, devaient marcher par deux, casqués et
armés. La deuxième fois, le 18 mai 1944, en apprenant l'arrestation de deux
camarades et de plusieurs autres, j'ai cru que mon heure était arrivée, mais
aucun d'eux n'a parlé. La troisième fois, le 9 juillet 1944, lors d'un contact
qui devait avoir lieu place Voltaire à Lyon. A l'heure dite, j'ai aperçu un
"monsieur" portant un imperméable gris avec double empiècement
autour du col : ce ne pouvait être qu'un policier allemand en civil. Je lui ai
échappé en pénétrant dans un magasin. De cet endroit, j'ai aperçu d'autres
"messieurs" non loin. |
Sources :
- Saisons d'Alsace n° 124 - Été 1994 (1944 - Vers la Libération)
- Guy Frank, entretiens du 29 mars et 5 avril 2004 avec Paul Hirlemann
- Illustrations : collection Paul Hirlemann
Radio clandestine : description d'une émission![]() |
Spécimen de télégramme codé (collection Paul Hirlemann) Quelques minutes avant l'heure du rendez-vous avec Londres,
l'opérateur arrive au lieu d'émission. Un ou plusieurs guetteurs extérieurs
sont en place. Sortir l'appareil de sa cachette, le poser sur une table,
dérouler le fil d'antenne sur dix à quinze mètres (à la campagne, il va se
perdre dans un arbre, à la ville, il zigzague d'un mur à l'autre de la
pièce), relier l'appareil à une prise de courant (ou à une batterie),
enficher le quartz fixant la longueur d'onde prévue, régler l'émetteur et le
récepteur : tout cela se fait en quelques minutes lorsque les conditions sont
normales. Source : Retour du bout de la nuit - Itinéraire d'un résistant, torturé, déporté, témoin (1939-1989), Anne Bocquet, Institut d'Études Politiques, Université des Sciences Sociales de Grenoble, année 1988-1989 (Mémoire consacré à Robert Clor) |
Reportage télévisé à Lyon en 2004![]() |
Le 4 juin 2004, Paul Hirlemann était invité à Lyon pour le tournage d'un reportage sur la Résistance. Sur cette photo prise au café Woehrlé, il s'entretient avec le reporter Jacques Mouriquand, en compagnie d'Odile Woehrlé et de Bruno Permezel, qui a publié en novembre 2003 un ouvrage sur les Résistants de Lyon (photo Daniel Woehrlé) Ce reportage a été diffusé dans le cadre de "C'était ici", |
Paul Hirlemann est décédé le 20 décembre 2006
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