WINTZENHEIM 39-45

Louis Voegtli : le témoignage d'Etienne Zind


WintzenheimEtienne Zind (photo Guy Frank, 1er juin 2004)

Louis Voegtli, boulanger

Durant la drôle de guerre, un soldat français était cantonné chez nous à la maison, 15 rue du Mal Joffre à Wintzenheim. En juin 1940, après la débâcle, il s'est retrouvé prisonnier des Allemands à la caserne Abbatucci, à Volgelsheim, avec des milliers de compatriotes que l'ennemi, dépassé par les événements, avait du mal à nourrir. Comme d'autres malheureux, et par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, il nous a fait parvenir un appel au secours, demandant d'urgence un peu de nourriture pour ne pas mourir de faim. Mon père a pris contact avec le maire Louis Voegtli, qui a entrepris de créer un vaste mouvement de solidarité pour venir en aide aux soldats français. Jour et nuit, le maire-boulanger travaillait dans son fournil pour cuire du pain qui était ensuite acheminé vers les casernes. La farine était fournie par la minoterie Spitz à Colmar, grâce à l'un de ses fondés de pouvoirs originaire de Wintzenheim, Charles Zind. Les habitants de la commune y joignaient quelques autres victuailles, pour améliorer leur triste ordinaire.

Louis Voegtli, passeur

En tant que maire de Wintzenheim, Louis Voegtli disposait des clés des maisons des juifs expulsés. Dans ces maisons mises sous séquestre, il pouvait ainsi récupérer de temps en temps quelques vêtements usagés pour habiller en civil les prisonniers français évadés, qui cherchaient à rejoindre la France libre à travers le réseau de passeurs de la vallée de Munster. Louis Voegtli les habillait, les hébergeait et, le moment venu, les aidait à passer la frontière située sur la crête des Vosges.

Mon évasion, le 4 juillet 1941

Né le 21 juillet 1923 à Wintzenheim, j'avais 17 ans lors de l'arrivée des Allemands, en 1940. Je me destinais à une carrière d'ingénieur, mais j'ai abandonné mes études pour ne pas être enrôlé dans les mouvements de la jeunesse hitlérienne, et suis entré en apprentissage chez Brenckmann-Ittel à Colmar. Deux fois par semaine, nous suivions un enseignement technique. Dans la classe, le professeur avait repéré cinq jeunes qui, comme moi, ne faisaient partie d'aucun mouvement nazi. Un jour, il nous annonça que, grâce à lui, nous aurions le "privilège" de faire partie bientôt du N.S. Fliegerkorps en cours de création. Il avait même obtenu que nous soyons pris en charge par la Luftwaffe, avec mise à disposition immédiate d'un uniforme. Bien évidemment, aucun d'entre nous ne tenait à bénéficier de cette "faveur". On sentait par ailleurs que l'occupant n'allait pas tarder à procéder à l'incorporation de force des jeunes Alsaciens.

Je décide alors de ne pas rester là, et je prends contact avec Louis Voegtli, en vue de quitter l'Alsace le plus rapidement possible, grâce à sa filière. L'évasion est soigneusement mise au point, et le départ est fixé au samedi 4 juillet 1941. Je dois partir avec mon cousin René Staehle. Le jour dit, pour ne pas éveiller l'attention, René et moi quittons Wintzenheim à vélo en direction de la vallée de Munster. Peu avant La Forge, notre oncle, Émile Staehle, fait les foins sur un pré le long de la route, comme convenu. Nous lui abandonnons nos bicyclettes. Au même moment, nous sommes rejoins par Louis Voegtli et son épouse qui arrêtent leur voiture le temps de nous faire monter, et nous voilà partis vers le fond de la vallée. Dans le véhicule, se trouve déjà un troisième compagnon d'évasion, René Schueller de Sundhoffen.

A Mittlach, nous sommes attendus par le fermier de Breitzhousen, accompagné de son cheval attelé à un tombereau, où nous cachons nos valises sous des sacs de son destiné au bétail. A la sortie du village, nous décidons de ne pas rester groupés et le fermier part en avant avec le couple Voegtli. Rendez-vous nous est donné à la ferme de Breitzhousen, sur la route des Crêtes, notre point de passage de la frontière. Mais peu de temps après, nous sommes distancés, et nous nous égarons, pour arriver à la ferme du Kastelberg à la nuit tombante. La frontière étant trop proche, nous risquons de tomber sur une patrouille et décidons de passer la nuit sur place. C'est au lever du jour que nous retrouvons les Voegtli et nos affaires à la ferme de Breitzhousen. Au courant de la matinée, une sentinelle pénètre dans la ferme et nous aperçoit. Elle nous demande nos papiers et la raison de notre présence à proximité de la frontière. Nous lui expliquons que nous sommes des randonneurs, et que nous avons l'intention de descendre vers le Schiessroth. Le fermier nous conseille de partir sans trop tarder, et nous quittons là notre maire-boulanger-passeur, Louis Voegtli et son épouse. Nous sachant surveillés, nous partons en direction du versant alsacien. Mais dès que nous sommes hors de la vue des sentinelles, nous bifurquons vers la forêt, et franchissons la route des Crêtes pour courir vers le versant vosgien. Le tout n'a duré que quelques secondes. Nous sommes le 5 juillet 1941, il est midi 45.

Wintzenheim

La fanfare du Bangala de Wintzenheim en 1938 : au centre, le tambour Etienne Zind

Où nous retrouvons Louis Voegtli

Le 13 juillet, après moult aventures, via Gérardmer et Épinal, nous arrivons à Champagnole dans le Jura, où un deuxième passeur doit nous aider à franchir la ligne de démarcation. Nous nous rendons au "Cheval Blanc", glissons comme convenu nos bagages sous la table du bistrot et commandons un "Cap Corse". C'est le mot de passe. L'aubergiste nous signale "que ça sent le roussi", et pendant que nous attendons ses instructions en buvant notre verre, nous assistons impuissants à l'arrestation de notre passeur, au bout de la rue. Il passe devant le bistrot, encadré par une escouade de policiers et de militaires allemands. Nous l'avons échappé belle !

Le 15 au matin, en sortant de notre hôtel, nous tombons sur... Louis Voegtli et un collègue à lui. On se regarde, étonnés. Nous lui expliquons nos mésaventures, et lui signalons que l'aubergiste du "Cheval Blanc" nous a indiqué une deuxième filière, par Les Planches-en-Montagne où un gendarme français, relativement isolé, faisait également office de passeur. Nous devons nous y rendre avec un vieux tacot. Voegtli aussi souhaite passer la ligne de démarcation. Nous lui proposons de venir avec nous, et lui donnons rendez-vous à la gare à midi.

Lorsque nous arrivons à la gare quelques minutes avant l'heure dite, nous apercevons un soldat en armes qui garde deux valises dans le hall d'entrée. Et dans un local attenant, on entend les cris d'un interrogatoire musclé. Nous comprenons alors que l'Allemand surveille les bagages de Louis Voegtli et de son compagnon, qui venaient de se faire arrêter...


Chez les Spahis Marocains à Marrakech en 1942. Pour échapper aux recherches des Allemands,
Etienne Zind, à gauche, avait pris le nom d'emprunt de Philippe Legrand.
René Staehle, à droite, était devenu André Berra (collection Etienne Zind)

Retour en Alsace avec les libérateurs

Avec René Staehle et René Schueller, je finis par réussir à passer cette ligne qui nous coupe de la France non occupée. Lors de notre passage à Lons-le-Saunier, nous croisons Charles Ingold, Robert Clor, René Schmitt et Pierre Wiederkehr qui rejoignent le 151e R.I.. Nous trois, continuons sur Lyon, puis nous nous engageons en Afrique du Nord d'où je suis revenu en février 1945 pour participer à la Libération de Rouffach avec le 4ème Régiment de Spahis Marocains.

Source : Etienne Zind, entretien avec Guy Frank le 1er juin 2004



René Staehle chez les Spahis Marocains (collection Bernard Staehle)

Qui peut identifier les 13 soldats figurant sur cette photo ?
Debout de gauche à droite : n° 1 à 7
Assis, de gauche à droite : n° 8 à 13


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