L’évacuation des communes situées à moins de 20 km de la frontière allemande et la Campagne de France ont provoqué, au sein de toute la population alsacienne, des départs au sud de la Loire ou dans les Alpes : parmi les évacués se trouvaient des enseignants. Selon un rapport allemand de mars 1944, la destitution des fonctionnaires originaires de l’Intérieur, le renvoi de 1100 institutrices congréganistes en août 1940, les non-retours d’au moins 700 enseignants suite à l’annexion de l’Alsace et des expulsions, puis, en 1942, l’incorporation de force, ont réduit de moitié les effectifs du corps enseignant d’avant-guerre, évalué à 5000 fonctionnaires.
Hitler décide d’annexer l’Alsace dès juillet 1940. Ce sera une annexion de fait, une annexion cachée (eine verschleierte Annexion). Pour l’administration allemande en Alsace et les hautes instances du Reich, les Alsaciens doivent redevenir des Allemands, et, du fait de leur ascendance allemande, ils commenceront par être des Volksdeutsche, des membres du peuple allemand, avant d’être des citoyens (Reichsdeutsche). En 1940, on n’a pas encore d’idée claire sur le processus – en août 1942, l’attribution de la nationalité allemande aux hommes mobilisés dans l’armée allemande et à leurs familles est un subterfuge pour légitimer l’incorporation de force. En attendant, à l’été 1940, la Umschulung tente d’éradiquer les réflexes républicains des Alsaciens.
L’administration civile s’attelle de suite à la transformation du système éducatif en Alsace – non décrite ici – et à la difficile question de la réduction du lourd déficit d’enseignants.
Elle fait venir des enseignants badois : ils sont 1550 sur la liste que Günter Lipowsky a établie en 2018 (Liste der badischen Lehrer und Lehrerinnen, Schulaufsichtsbeamten und Lehrenden an den Lehrerbildungsanstalten im Elsass zwischen 1940 und 1945). Jugés plus fiables et membres du parti NSDAP, ces enseignants et des enseignantes remplacent systématiquement les directeurs et les directrices des écoles importantes et vont participer à la germanisation de l’Alsace et à l’endoctrinement des Alsaciens. Leurs arrivées s’échelonnent sur deux ans. Mais arithmétiquement, elles ne suffisent pas. Il faudra veiller à ce que les enseignants en formation entrent eux aussi dans le système allemand.
La Umschulung – une rééducation professionnelle et idéologique – se déroule sous trois formes principales.
1. Les enseignants hommes et femmes sont astreints à trois
mois de stage professionnel, puis à un stage dans une École du Parti (Gauschule).
Celle-ci est, pour les enseignants, une école de formation politique animée par
la Ligue nationale-socialiste des enseignants (NSLB), d’adhésion obligatoire,
constituée en 1933 au moment de l’interdiction des syndicats et des associations
professionnelles. L’adhésion à la Ligue (National-sozialistischer Lehrerbund)
est obligatoire.
Mes recherches dans les dossiers de l’administration
allemande aux archives de Colmar, Strasbourg, Karlsruhe et Freiburg m’ont permis
de chiffrer à au moins 3000 enseignants déplacés ainsi outre-Rhin dont une
grande partie, surtout des jeunes femmes, a été obligée de rester en Allemagne
jusqu’en 1944/45. Les premières sessions de Umschulung commencent dès octobre
et se succèdent par périodes de
trois mois jusqu’à décembre 1941. Sous le régime d’annexion nazie, la
Umschulung n’est pas une banale
formation de reconversion ; c’est une rééducation idéologique et professionnelle
lourde. Les enseignants hommes et femmes formés avant 1919 dans un
Lehrerseminar échappent à cette règle
et peuvent se contenter d’un stage de six semaines auprès de leurs collègues
allemands. Dans la génération des enseignants recrutés et formés après le Traité
de Versailles, seules les femmes mères de famille pourront rester en Alsace et y
effectuer des stages de reconversion de six semaines plus proches de leur
domicile et selon un horaire aménagé.
2. En 1940, des jeunes gens et jeunes filles sont en formation dans les écoles normales de Colmar, Strasbourg et d’Obernai, repliées pendant toute la guerre respectivement à Aiguillon, Périgueux, à Solignac ou à l’Ecole primaire supérieure (EPS) de Capbreton. Il s’agit de les faire revenir en Alsace – tous et toutes ne reviendront pas. Dans les EPS restées en Alsace dont les Allemands ordonnent la fermeture, des garçons et des filles se préparent à entrer dans l’enseignement. L’administration civile allemande invente le concept de Sonderlehrgang et aménage pour tous les candidats à l’enseignement primaire un cursus spécial, transitoire et accéléré d’accès à l’enseignement allemand.
3. La troisième voie, c’est la création en Alsace en 1942 d’instituts de formation (Lehrerbildungsanstalt, LBA) à Sélestat et à Carspach et le recrutement, dès l’été 1941, de garçons et filles de 14 ans intégrés dans un cursus de formation de cinq ans. À partir de 1942, cette voie sera doublée par un cursus accéléré de deux ans de jeunes filles de 15 ans, à l’issue des EPS transformées en Mittelschulen (écoles secondaires moyennes).
Les cinq chapitres qui suivent ont un objet double :
- donner au lecteur un aperçu des formes d’intégration des enseignants alsaciens
dans le système scolaire allemand et des contraintes subies pour continuer à
pratiquer leur métier plutôt que d’aller travailler sur des chantiers ou
travailler dans l’industrie de guerre dans le Grand Reich allemand;
- fonder cet aperçu sur le parcours obligé d’enseignants - Léon Breitel, Louis Krick et
Alice Schubel-Schmitt - ayant eu des liens familiaux ou professionnels avec la
petite ville de Wintzenheim et son canton, enraciner les chemins de la
Umschulung dans l’espace vécu, dont la
Société d’histoire s’efforce avec brio de présenter « une histoire à connaître
et un patrimoine à découvrir » depuis un bon quart de siècle.
Sources :
- Daniel Morgen, Mémoires retrouvées. Des enseignants alsaciens en
Bade, des enseignants badois en Alsace. Umschulung 1940-1945. Jérôme Do
Bentzinger Éditeur, 2014.
- Meryem Bolatoglu, Daniel Morgen, Gérald Schlemminger: 1940-1950,
"Umschulung et réintégration". Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2008.
Le tableau ci-dessous est un extrait de celui des 2500 Alsaciens déplacés en Bade et contraints au travail pour l’ennemi. Le critère retenu pour la constitution de ce tableau est celui des rapports des personnes citées avec la commune de Wintzenheim ou l’une des communes du canton. On va donc y retrouver les hommes et les femmes nés à Wintzenheim et originaires d’une famille de la commune (Louis Krick, Alice Schubel née Schmitt, Anne Schmitt, Auguste Sontag), des hommes et des femmes originaires d’autres communes d’Alsace mais ayant exercé dans la commune ou dans une autre commune du canton (Léon Breitel, Eugène Boeglin), mais aussi ceux et celles originaires d’une autre commune du canton (Albert Engel, Reine Fritsch, Rose Geissel, Justin Hausherr, Martin Heyberger, Jean-Pierre Hunsinger...). Les indications sont strictement celles du document sur lequel figure leur nom – liste d’enseignant ou d’enseignante convoqués à une session de Umschulung, arrêté de nomination ou fiche de paie émanant de l’administration civile allemande en Alsace (Chef der Zivilverwaltung, Abteilung Erziehung, Unterricht und Volksbildung, Strasbourg 1940-1944) ou du Ministère badois (Ministerium für Kultus, Unterricht und Volksbildung, Karlsruhe) .
|
Nom, prénom |
Année |
Lieu d’exercice en Alsace avant 1940 |
Lieu d’exercice Bade |
Kreis/ (arrondissement) |
|||||
1.
|
Adam André
|
1941 1942
1943 |
Herrlisheim
Rombach-le-Franc |
Unterschupf, Dittwar
01.05.1942 : Heckfeld (Lauda)
24.06.1943 :
Wehrmacht |
Main-Tauber |
|||||
2.
|
Boeglin Eugène (Michelbach-le-Haut |
1941
1942 |
Wettolsheim |
04.1941 : Kuhbach (Lahr)
07.1942 : licencié |
Ortenau |
|||||
3.
|
Breitel Léon
(Orschwiller) Récit enregistré |
1942 |
Musloch (Lièpvre) |
09.1943 : Burgweiler
01.1942 : Echbeck
(Heiligenberg)
06.1943 : Wehrmacht |
Bodensee |
|||||
4.
|
Engel Albert
(Colmar) |
1943
|
Zimmerbach
|
LBA Karlsruhe SK4
10.1943
: RAD
02.1944 : Büchenbronn |
Karlsruhe
Pforzheim |
|||||
5.
|
Fritsch Reine
|
1941 |
Mulhouse
09.1944 Turckheim |
LBA Karlsruhe SK3
11.1942 : Söllingen, Flehingen
05.1943
: Emmendingen
07.1944
:
Unterwittighausen |
Karlsruhe
Pforzheim
|
|||||
6.
|
Fehrenbach Berthe
(Turckheim) |
1942
1943
1944 |
(Niedermorschwihr) |
08.1941 : Friedingen
(Singen-am-Hohentwiel) |
Konstanz |
|||||
7.
|
Fenninger Marthe
(Eglinger-Fenninger Marie-Louise) |
1941
1942
|
Turckheim |
Rheinfelden |
Lörrach |
|||||
8.
|
Geissel Rose
(ou : Geisel)
(Bischoffsheim)
|
1941
1943 |
Obermorschwihr |
Grötzingen
Friedrichstal (Stutensee)
|
Karlsruhe |
|||||
9.
|
Hausherr Justin |
1942
|
Eguisheim |
Pädagogisches Seminar Heidelberg
Oberschule Neustadt |
Breisgau-Hoch-schwarzwald |
|||||
10.
|
Heitz Bernardine |
1941
1942 |
Herrlisheim |
Freistett
(Rheinau-Freistett) |
Ortenau |
|||||
11.
|
Heyberger Martin
|
1942 |
Obermorschwihr |
Sinzheim
|
Rastatt |
|||||
12.
|
Heyer Jean |
1941 |
Obermorschwihr |
LBA Karlsruhe SK3
08.1943 : Wehrmacht |
Karlsruhe |
|||||
13.
|
Hunsinger Jean-Pierre |
1941
1943 |
(Mittlach et Obermorschwihr) |
LBA Karlsruhe SK4
10.1943 : RAD
02.1944 : Mundingen
05.1944 : Herbolzheim, Endingen |
Emmendingen |
|||||
14.
|
Kraemer Alice
(Herrlisheim) |
1943 |
Fort-Louis |
LBA Karlsruhe SK4
Lörrach |
Lörrach |
|||||
15.
|
Kreissig Marie |
1941 |
Turckheim |
Pfaffenweiler
(Villingen-Schwenningen) |
Schwarzwald-Baar-Kreis |
|||||
16.
|
Krick Louis né en 1922
(Wintzenheim)
Récit enregistré |
1941
1942
T |
Balgau |
LBA Karlsruhe SK3
1942 : Mülben
(Waldbrunn)
01.1943 : Bachheim (Löffingen)
01.1943 : Wehrmacht |
Neckar-Odenwald
Breisgau |
|||||
17.
|
Lang Anne-Marie
née Heizmann (décédée en 1992) |
1941
1942 E |
Wintzenheim |
01.1941 : Emmendingen (Markgrafenschule)
05.1944: Wintzenheim |
Emmendingen |
|||||
18.
|
Laucher Robert
|
1942
1943
E |
Wintzenheim |
04.1941 : Riegel 01.1943 : Malterdigen
03.1943 : Wasser
07.1944 : Yach |
Emmendingen |
|||||
19.
|
Meyer Charles |
1941
1941
1942 |
Voegtlinshoffen |
Karlsruhe
08.1941 Plittersdorf |
Rastatt |
|||||
20.
|
Muller Ernest |
1941
1942 |
Wintzenheim |
Schulkreis Stockach
Mainwangen (Mühlingen) |
Konstanz |
|||||
21.
|
Muller
Louise
|
1941b |
Colmar |
Waldwimmersbach,
Heidelberg (2ème Umschulungslehrgang)
06.1941 : Colmar
05.1944 : Wintzenheim |
Rhein-Neckar |
|||||
22.
|
Ott Madeleine |
1941
1942 E |
Wintzenheim |
1941-1943 Freiburg, Pestalozzi-Schule |
|
|||||
23.
|
Ott Marguerite |
1942
1943 |
|
Asbach (Obrigheim)
Mosbach |
Neckar-Odenwald |
|||||
24.
|
Pfirsch Gérard |
1941
1942 |
Herrlisheim |
Götzingen
(Buchen)
Beuren |
Neckar-Odenwald
Bodensee |
|||||
25.
|
Rimmelé Aimé |
1941
1941 |
Herrlisheim |
1941-1944 : St. Blasien
05.10.1944 : Wehrmacht |
Waldshut |
|||||
26.
|
Schamberger René |
1941
1941
1942 |
Zimmerbach |
01.1941 Rötenbach (Lenzkirch)
04.1942 : Raitenbach
09.1943 : St. Blasien
10.1943 : Ribeauvillé Glashütte |
Breisgau-Hochschwarzwald |
|||||
27.
|
Schmitt Anne
|
1941 |
Wintzenheim |
Hüfingen |
Schwarzwald-Baar |
|||||
28.
|
Schott Marie |
1941 |
Wettolsheim |
Friedrichstal
(Stutensee) |
Karlsruhe |
|||||
29.
|
Schmitt Alice, épouse Schubel
(Wintzenheim)
|
1941
1942 |
Wintzenheim |
LBA
1941/1942 SK3 |
|
|||||
30.
|
Sittler Alfred
(Ribeauvillé) |
1941
1942
1944 |
Husseren-les-Châteaux
Pairis |
LBA Karlsruhe
1940/1941 SK1
10.1941 : Radolfzell
12.1942 : Allensbach
10.1943 : Deisendorf |
Konstanz |
|||||
31.
|
Sontag Auguste
(Wintzenheim |
1942 |
Reguisheim |
Lauchringen |
Waldshut |
|||||
32.
|
Stahl Jeanne |
1941 |
Wintzenheim |
Freiburg |
|
|||||
33.
|
Streicher Victor
1915 (Eguisheim) |
1941b
1943
1944 |
Husseren |
04.1941 : Bermatingen
01.1942 : Markdorf
10.1943 : Illmensee
|
Bodensee
Sigmaringen |
|||||
N.B. Les noms en caractères gras sont ceux de témoins dont le récit est repris ci-après ou dans des pages du site Internet :
http://wintzenheim3945.free.fr, Auguste Sontag page C08A, Eugène Boeglin page C08C
Source : http://daniel-morgen.onlc.fr/24-Les-3000-enseignants-de-la-Umschulung.html (extrait)
Léon
BREITEL en 1939-45
Bien qu’il n’ait eu aucune ascendance dans la cité du lévrier, Léon Breitel (1915-2019) y a passé avec son épouse Suzanne née Dorgler cinquante belles années.
En 1936, à l’issue de ses études à l’Ecole primaire supérieure de Colmar, il réussit le Brevet supérieur, option pédagogie et commence sa carrière d’instituteur à Hagenthal-le-Bas, entrecoupée par le service militaire de deux ans (1937-1939), la Drôle de guerre (1939-1940) et la Campagne de France dans la IXe division de blindés du colonel Charles de Gaulle (1940). Il est démobilisé en mai 1940 à Peyrat-le-Château (Haute-Loire). L’Inspecteur d’académie de la Creuse lui conseille de rentrer en Alsace.
À la rentrée 1940, le service de l’éducation, de l’enseignement et de la formation populaire de l’administration civile allemande en Alsace (Abteilung Erziehung, Unterricht und Volksbildung) l’affecte à Musloch (Lièpvre), puis dans la classe unique de Nothalten, près de Dambach (Bas-Rhin).
Mais en avril 1941, Léon doit quitter ses élèves. Il est convoqué à un stage obligatoire de trois semaines à la Gauschule de l’Insel Reichenau (Bodensee). À la fin de ce stage de reconversion idéologique, Léon commence la période proprement dite de Umschulung professionnelle, qui dure trois mois, du 5 mai au 27 juillet inclus. Alors qu’en général, le stage pédagogique précède le stage politique, le déroulement inverse n’est pas rare.
C’était au mois d’avril 1941 que j’ai été convoqué à un stage dans la Gauschule de l’Insel Reichenau sur le Lac de Constance. Les conférenciers nous présentèrent le grand Reich d’Adolf Hitler, le Führer, l’historique du Parti nazi et les différentes formations qui constituaient la NSDAP [National-Sozialistische Deutsche Arbeiterpartei]. On nous a fait suivre une initiation à la Rassenkunde et exposé le rôle de l’instituteur dans l’éducation "aryenne" du peuple allemand. Le but de cette Umschulung était clair : faire des éducateurs des Nazis convaincus à leur idéologie. Piètres résultats : rares furent ceux qui se laissèrent nazifier ! Suivit un recyclage pédagogique, eine pädagogische Umschulung. Ce second stage a eu lieu à Mannheim, en Bade. Tout de suite après, au mois de mai 1941. Là, on nous initia aux différentes matières d’enseignement dans la deutsche Volkschule. Une place prépondérante était réservée à la vie et à l’œuvre d’Adolf Hitler, au sport, à l’éducation nazie des enfants, à la Heimatkunde, à la formation musicale. Et durant ce stage, on visita des sites pittoresques : Speyer, la cathédrale romane, à Heidelberg, le château, à Bade Dürckheim, le célèbre tonneau-restaurant et à Karlsruhe, le château. J’ai appris également là-bas à jouer au skat, vous connaissez le skat, jeu de cartes particulièrement en vogue en Allemagne ? Et les rencontres après le cours créèrent un climat de sympathie entre les stagiaires alsaciens. Entre eux, ils ont principalement échangé leurs opinions antinazies. Ce stage dura environ trois mois, de mai à juillet 1941 inclus.
A l’issue de ces deux stages, je n’ai pas été autorisé à rentrer en Alsace, j’ai été nommé comme instituteur allemand à Burgweiler, près de Pfuhlendorf. Et fin 1941, à Echbeck, commune de Heiligenberg, en remplacement d’un instituteur incorporé dans la Wehrmacht. J’avais comme collègues M. René Pierrel, qui a été directeur d’école à Appenwihr de 1945 à 1978, et M. Wagner qui était de Mutzig. Pierrel était à Röhrenbach tout près de Echbeck. On se rencontrait tous les soirs pour une partie de skat. Et tous les samedis, les Alsaciens-Lorrains se rencontraient et on faisait une tournée à bicyclette.
Léon Breitel (à gauche) en 1941 avec deux collègues alsaciens, Pierrel (au milieu) et Wagner, et leur classe à Eschbach près du Bodensee.
J’ai été incorporé de force fin 1943 et j’ai été fait prisonnier le 3 janvier 1944. Et j’ai fait les camps de Kiev, 120 kms à pied pour rejoindre Kiev et de là à Koursk, au camp de Koursk, puis à Tambov. Et là, à Tambov, j’ai eu de la chance, les 1500 Alsaciens-Lorrains qui devaient partir chez De Gaulle, en Afrique, étaient au complet et puis il y a eu des désistements. Un commissaire et une femme médecin russes faisaient un tri parmi les prisonniers. Me voyant si squelettique, le commissaire fit mine de ne pas me sélectionner. Me redressant, je mis en joue et criai : Germanski, kaput ! Rigolade de la part des Russes et sélection parmi les 1500. Quelle chance ! Et après, on est allé à Téhéran, Bagdad, vous voyez le parcours. De Haïfa, un bateau hollandais nous a débarqués à Tarente et le « Casablanca » à Alger.
Source : Daniel Morgen, entretien du 17 février 2010 avec Léon Breitel
Etat-Civil : Léon BREITEL est né à Orschwiller (Bas-Rhin) le 7 août 1915 et décédé à Wintzenheim le 25 août 2019 à l'âge de 104 ans. En 1946 il avait épousé Suzanne DORGLER de Châtenois, quatre enfants sont nés du couple.
Le Sonderlehrgang constitue un cursus modulable de durée variable – d’une à trois années selon leurs études antérieures – en deux phases : la première phase prépare à l’année de formation professionnelle et permet d’achever les études secondaires entamées. Le concept est assez souple pour ajuster le niveau d’entrée dans le cursus selon le niveau d’étude antérieur. Les titulaires du Brevet supérieur entrent directement la Lehrerbildungsanstalt. Les non titulaires du Brevet supérieur font une année ou deux dans le cursus préparatoire ouvert dans quatre Mittelschulen alsaciennes, à Strasbourg, Colmar et à Mulhouse. L’administration valide la formation de ceux et celles qui étaient dans la dernière année d’EPS et les admet directement dans la seconde partie de formation professionnelle d’un an (Sonderkurs) à la Hochschule für Lehrerbildung ou Lehrerbildungsanstalt de Karlsruhe, future L.B.A. Entre l’automne 1940 et 1943, il y aura trois cursus spéciaux et accélérés.
Le tableau ci-après donne un aperçu des cours du
Sonderlehrgang.
Cours |
Traduction française |
Les professeurs |
Grundlagen der Nationalpolitischen Erziehung |
Bases de l’éducation nationale-socialiste |
Dr. Hohlfeld |
Deutscher Aufbau im Licht der Zahl |
Le développement allemand à travers les statistiques |
Keitel, Hauptlehrer |
Erziehungswissenschaft |
Introduction aux sciences de l’éducation et Histoire de l’éducation
allemande de la Réforme à 1940 |
Dr. Ungerer |
Charakter- und Jugendkunde |
Caractère et psychologie de l’enfant et de l’adolescent |
Id. |
Aufbau und Formen der Persönlichkeit |
Construction et formation de la personnalité |
Id. |
Die psychologischen Grundlagen des Kinderschaffens in der Volksschule |
Les bases psychologiques de la créativité de l’enfant à l’école primaire |
Huppert, Dozent |
Erziehungssystem der Kulturvölker |
Les systèmes d’éducation des peuples civilisés |
Dr. Hohlfeld |
Menschliche Erblehre und Rassenkunde |
La génétique et les races humaines |
Dr. Wehrle |
Volkskunde. Die deutschen Stämme und Volksgruppen |
Les groupes ethniques et les groupes de langue allemande (Alamans,
Bavarois, Souabes etc.) |
Dr. Künzig |
Brauchtum und Volksdichtung |
Traditions et poésie populaire |
Dr. Künzig |
Deutsche Sprache und Literatur |
Langue et littérature allemandes |
Dr. Mayser |
Geschichte und Vorgeschichte
Der Kampf um das großdeutsche Reich
|
Histoire de l’Allemagne de la préhistoire au début de la deuxième guerre
mondiale
La lutte pour le Großdeutsches
Reich |
Dr. Hohlfeld |
Übungen zur Methodik des Deutschunterrichts |
Exercices pratiques et méthodologiques d’enseignement de l’allemand |
Bauer, Hauptlehrer |
Übungen im Sprechen und Schreiben |
Langue orale et langue écrite (cours spécial pour les Alsaciens) |
Assal, Hauptlehrer |
Übung im mündlichen und im schriftlichen Gebrauch der deutschen Sprache |
Exercices de pratique orale et écrite de la langue allemande |
Woerle, Hauptlehrer |
Grundfragen des angewandten Rechnens in der Grundschule |
Enseignement du calcul appliqué à l’école primaire |
Seith, Rektor |
Erdkunde. Landeskunde von Deutschland
Einführung in die Siedlungs – und Wirtschaftsgeographie |
Géographie de l’Allemagne
Introduction à l’étude du peuplement et à la géographie économique |
Dr. Pfrommer |
Einführung in die Heimatkunde auf bodenkundlicher Grundlage |
Introduction géologique à l’étude du milieu |
Dr. Rahner |
Methodik der Naturlehre
Gesteine und Böden Deutschlands |
Méthodes d’enseignement des sciences de la nature
Étude géologique de l’Allemagne |
Dr. Göringer |
Die physikalische Erkenntnisbildung in der Volksschule
|
Apprendre à reconnaître et à observer à l’école primaire |
Dr. Göringer |
Leibesübungen
Leichtathletik und Kampfspiele
Schwimmen
Hallenturnen |
Éducation physique et sportive
Athlétisme et jeux
d’opposition
Natation
Gymnastique en salle |
Kuhnmunsch, Turnlehrer
Schadt
Schweinfurt |
Grundlagen schulmusikalischer Unterweisung
Musikunterricht-Blockflöte
Musikalische Grundlehre und Stimmbildung im Rahmen des Musikunterrichts in
der Volksschule |
Initiation à l’étude de la musique et du chant à l’école primaire
Enseignement musical et flûte à bec
Fondements musicaux et travail de la voix dans le cadre de l’enseignement
musical à l’école primaire |
Braunstein,
Dozent
Dr. Rahner |
Sprecherziehung |
Éducation phonétique, éducation à la prise de parole. |
Dr. Mayser |
Voraussetzung und Gestaltungsmöglichkeit eines ganzheitlich gerichteten
Unterrichts
Grundlegende Unterrichtsarbeit auf der Unterstufe
|
Conditions et construction d’un enseignement global et désenclavé
L’enseignement des fondamentaux dans le cycle 1 (CP-CE) |
Frey, Hauptlehrer |
Flugzeugmodellbau |
Aéromodélisme |
Sanders, Zeichenlehrer |
Vorstellungsbildendes Gedächtniszeichen |
Le dessin de mémoire, formateur de la représentation |
Sanders |
Filmausbildung
|
Formation à l’entretien et à l’utilisation des appareils de projection et
techniques de l’enseignement audio-visuel. (Films 16 mm et diapositives
disponibles dans les Landes- und
Kreisbildstellen, centres régionaux de documentation pédagogique). |
|
Das Auslandsdeutschtum im Überblick |
Les Allemands de l’étranger |
Dr. Künzig |
Deutsche Schule in Recht und Verordnung |
Législation scolaire allemande |
Keitel,
Hauptlehrer |
Source : Bolatoglu, Morgen, Schlemminger : 1940-1950, "Umschulung et réintégration". Jérôme Do Bentzinger 2008, pages 270 et 271.
Tous ces enseignements se basent sur les conceptions politiques (histoire, géographie) et idéologiques dominantes (Volkskunde, étude de l’hérédité et des "races") de l’Allemagne nazie et sur la psychologie allemande des années 1930-1940, fortement influencée par l’idéologie dominante de l’époque.
L’ensemble du programme de cours comprend :
- Les thèmes conformes à l’idéologie du IIIème Reich : les bases
nationales-socialistes de l’éducation, les groupes ethniques allemands en Europe
ainsi que l’émigration des Allemands à l’étranger, la génétique, l’amélioration
de l’espèce et la notion de « races » humaines.
- Des cours classiques, mais dont le IIIème Reich a modifié les contenus, comme la législation scolaire, la
géographie (l’expansion du Grand Reich allemand), l’histoire (la lutte de
l’Allemagne pour son expansion politique et géographique).
- Des cours de didactique d’une discipline ou de pédagogie, avec, pour l’époque, les aspects
novateurs de certaines approches. L’éducation à la prise de parole et à la
diction est une spécificité allemande. Le Pays de Bade est une zone
dialectophone alémanique : l’objectif de l’enseignement est la promotion de
l’allemand standard. Les Alsaciens faisant partie de la même zone dialectophone
ont dû également suivre ce cours de Sprecherziehung qui existe encore de
nos jours.
C’est cette voie que Louis Krick et Alice Schubel-Schmitt ont suivie.
Né en 1922, Louis Krick a effectué ses études secondaires à l’Institut Saint-Joseph de Matzenheim et a présenté en 1939 le Brevet supérieur, section générale. À l’automne 1940, Louis Krick n’a d’autre solution, s’il veut devenir enseignant, que de s’inscrire à l’École primaire supérieure de Colmar, installée dans les bâtiments de l’actuel collège Pfeffel, et devenue entre-temps Mittelschule pour y subir avec succès, en septembre 1941, les épreuves d’un Lehrgang zur Abwicklung der Lehrerbildung [cursus spécial et transitoire réservé à la formation des enseignants en Alsace]. Puis, c’est le Sonderlehrgang à Karlsruhe à la Hochschule für Lehrerbildung en 1941-42 avec tous ses camarades de la promotion du Sonderkurs III. Louis Krick a conservé de bons souvenirs de l’école de Mülben (Odenwald) où il a effectué le Landschulpraktikum en 1942 et a conservé des contacts avec la commune après la guerre. Tous les jeunes diplômés sont ensuite obligés de suivre une période de service civil prémilitaire, le RAD - Reichsarbeitsdienst. Louis Krick l’effectue d’octobre à décembre 1942 à Wangerooge.
![]() Louis Krick à l'Institut Saint-Joseph à Matzenheim en 1939-1940 (collection Monique Trapp née Krick) |
![]() Louis Krick à Karlsruhe en 1942 (collection Monique Trapp née Krick) |
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![]() Louis Krick à Mülben (Odenwald) en mai 1942. La classe unique et son maître* |
![]() Louis Krick à Zimmerbach en 1945-46 (collection Monique Trapp née Krick) |
* Photo tirée du livre "1940-1950 : Umschulung et réintégration" Bolatoglu, Morgen, Schlemminger
Louis Krick est incorporé de force dans l’armée allemande en janvier 1943. Il est envoyé en Grèce, d’où il revient à marches forcées en septembre 1944 par l’ancienne Yougoslavie dans des conditions extrêmes. Louis Krick décrit ce retour des troupes allemandes, constamment harcelées par les troupes russes ou des unités du maréchal Tito, comme un exploit. À l’armistice de mai 1945, il est en Autriche, à Linz, d’où il est rapatrié en France. Après des interrogatoires dans un centre de démobilisation, il peut rentrer en Alsace. Voir le site Internet : http://wintzenheim3945.free.fr, page B08E, Louis Krick : le retour rocambolesque d'un incorporé de force.
Dès mai 1945, l’inspection académique du Haut-Rhin l’envoie ouvrir un centre d’apprentissage des Mines à Wittenheim – dans la cité Fernand Anna -, où il encadre 65 jeunes de 16 à 24 ans (il en a lui-même 23 à l’époque !) puis l’affecte à l’École des Mines de Pulversheim qui réunit l’ensemble des sections d’apprentissage réparties dans les différents centres de production de potasse. Il n’y restera que quelques jours, puisqu’entre octobre 1945 et juillet 1946, il doit suivre les cours de l’École primaire supérieure de Colmar et se présenter au Brevet supérieur complet. De la rentrée 1946 à l’été 1947, il effectue différents remplacements (Wettolsheim, Zimmerbach, Colmar).
Du 1er octobre 1947 au 14 juillet 1948, Louis Krick fait un stage – obligatoire à l’époque pour les remplaçants en voie de titularisation – à l’École normale d’Amiens. Le lieu du stage lui est imposé. Logé et nourri dans les mêmes conditions que les élèves-instituteurs, il ne se souvient pas d’avoir perçu des frais de déplacement, ni d’avoir été évalué au cours du stage : « Il y a certainement eu une évaluation, mais je n’en ai jamais entendu parler ». Au cours de son stage, il a suivi les cours de la promotion et effectué des stages dans les écoles d’application. Du stage lui-même, il a conservé, outre une photo de la promotion avec laquelle il a suivi les cours, des contacts amicaux avec d’anciens camarades, ainsi que le sentiment des différences entre l’école en Alsace et l’école en Picardie, entre la Umschulung à Karlsruhe et le stage en École normale à Amiens. Les deux stages ont différé par leur pôle de politisation, mais aussi par des éléments culturels.
Ainsi, la musique, très enseignée et très pratiquée à Karlsruhe, où il y avait jusqu’à vingt ou trente pianos dans la Hochschule, était beaucoup moins présente à Amiens et les pianos d’exercice totalement absents. Il note aussi qu’il a été amené à effectuer plus de stages à Karlsruhe – l’un dans une école de ville, l’autre dans une école de campagne – et des stages au total plus longs qu’à l’École normale d’Amiens. Il a aussi relevé les différences entre le français parlé en Alsace et celui du Nord : les enfants des écoles étaient habitués au français « chti » et avaient du mal à comprendre son français. Il se souvient que les normaliens et le directeur de l’École normale d’Amiens étaient intrigués par le parcours atypique de cet instituteur alsacien, formé à l’École primaire supérieure, puis à la Mittelschule et dans une école normale allemande, et, de plus, incorporé de force dans l’armée allemande avec tous les problèmes que cette mesure a posés aux jeunes Alsaciens de sa génération.
Pour Louis Krick, la raison d’être du stage est claire : « On nous a envoyés dans les écoles normales pour améliorer notre français et notre accent. On nous a répartis dans toute la France pour que nous ne parlions pas l’alsacien entre nous. » Son appréciation globale sur le stage est mitigée : « Je n’ai pas de mauvais souvenirs, ni de souvenirs inoubliables », dit-il.
À l’issue de ce stage, il obtient un poste d’instituteur à Bennwihr, où il reste jusqu’en 1952, date à laquelle il obtient un poste de directeur avec secrétariat de mairie à Attenschwiller. Il ne se souvient pas d’avoir été sollicité pour enseigner l’allemand, réintroduit par décret en décembre 1952 dans les classes de fin d’études. Il n’a pas entendu parler de ce décret. De cette époque, il se souvient d’avoir été incité à interdire l’alsacien dans la classe et dans la cour de récréation par des inspecteurs qui « reprochaient aux enseignants de laisser les enfants parler l’alsacien. » Il regrette à présent les mesures prises dans les écoles pour punir les enfants surpris à le faire.
Sources :
- Récit recueilli par Meryem Bolatogolu, le 22 mars 2007
- Entretiens de Daniel Morgen avec Louis Krick (2007, 2011)
Etat-civil : Louis KRICK est né à Colmar le 31 octobre 1922 et décédé à Mulhouse le 13 janvier 2013. Il s'est marié en 1949 et a eu quatre enfants.
En 1940-1941, Alice termine ses études secondaires à l’EPS Pfeffel de Colmar, devenue la Pfeffel-Mittelschule. Elle y est inscrite dans le Sonderlehrgang, ce cursus spécial et transitoire d’accès à l’enseignement du premier degré avec d’autres jeunes filles de la région. En 1941-1942, elle suit les cours de la Hochschule für Lehrerbildung – l’École supérieure de pédagogie qui redeviendra dès 1942 la Lehrerbildungsanstalt (LBA), l’Institut de formation des maitres. Selon l’attestation établie en 1979, Alice Schmitt s’est engagée dans un réseau de résistance dès le début de la guerre.
Alice Schmitt et le Lieutenant Lucien Grosperrin, originaire du Nord.
Résistant, il sera fusillé par les Allemands le 30 mars 1945.
(collection Anne Sassi-Tannacher)
Dans un premier temps, elle travaille sous les ordres du lieutenant Lucien Grosperrin. Né le 3 août 1916 à Le-Sart-en-Thiérache (Aisne) [1], celui-ci est prisonnier à l’Oflag [2] V A de Weinsberg (Kreis Heilbronn) et y a organisé une filière d’évasion d’officiers français. Alice Schmitt et sa mère cachent ces officiers dans leur maison à Wintzenheim et les munissent de vêtements civils, apportés par Robert Borocco, frère d’Edmond. En octobre 1943, Grosperrin se voit libéré sous le statut de travailleur civil. Enseignant d’allemand à l’école normale avant la guerre, il trouve un emploi contractuel de professeur de français à l’école Berlitz à Fribourg-en- Brisgau et va participer clandestinement au réseau français de renseignements d’Albert Leenhaerdt. Ce réseau, appelé « Mission Leenhaerdt », se composait, selon Albert Chambon [3], de vingt-deux membres et a été actif du 13 août 1943 au 30 mai 1944. Grosperrin a chez lui un émetteur radio, Alice contribue à la collecte des renseignements sur les mouvements de troupes. Elle effectue elle aussi des transmissions clandestines. Deux autres membres du réseau, Edmond Borroco l’imprimeur colmarien, ancien député du Haut-Rhin et ancien chargé de mission du réseau Uranus-Kléber, Anne Voland, épouse Louis domiciliée à Nantes, qui a exercé comme institutrice et résidé à Colmar pendant la guerre, confirment l’activité d’Alice Schmitt.
[1]
aujourd’hui Fesmy-le-Sart (Aisne
[2] Offizierslager, camp d’officiers prisonniers.
[3] Chambon 1987, annexe 6 p. 157.
La Gestapo réussit à démanteler le réseau Uranus-Kléber le 15 août 1942, époque à laquelle Edmond Borocco se réfugie en Suisse. Les membres de la mission Leenhaert sont pris vers la fin de l’année 1944, Alice Schmitt est arrêtée sur l’intervention d’un faux porteur de messages le14 janvier 1945. Elle et sa mère sont emprisonnées à Freiburg. Avec Anne Voland, elles sont transférées le 17 janvier au camp de Haslach parce que le typhus sévit dans la prison. Le 18 février 1945, on libère Mme Schmitt mère mais on transfère sa fille et Anne Voland à Stockach où elles seront libérées le 29 avril de la même année par des soldats de la Première Armée française. Elles sont les seules rescapées : Lucien Grosperrin avec tous les hommes de la mission Leenhaert ont été fusillés le 30 mars 1945, à Wolfach, dans l’Ortenau.
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Nouvel An 1942 Alice SCHMITT avec sa petite soeur Richarde née en 1933. (collection Raphaëlle Tannacher) |
Mars 1943 Alice SCHMITT, 20 ans, avec sa petite soeur Richarde née en 1933. (collection Raphaëlle Tannacher) |
En 1981, Alice Schmitt a obtenu la Carte du combattant volontaire de la Résistance n° 184.076, associée à une invalidité de 100% pour faits de guerre, ainsi que la Carte du déporté résistant (201.9376.10).
Alice SCHMITT vers 1960 avec son mari Robert SCHUBEL, dentiste à Gérardmer.
Ils se sont mariés à Wintzenheim le 17 août 1957.
(collection Anne Sassi-Tannacher)
Sources :
- Archives départementales des Vosges. 2811 W 39, dossier ONAC Schmitt Alice, Jeanne.
- Archives fédérales suisses, série E4264. N 15 169 : Dossier Borocco Edmond.
- Arolsen Archives : Cote 02030301001.438. Lucien Grosperrin. Dokumente mit Namen ab Groschowska, Maria.
- Albert CHAMBON (1987): Quand la France était occupée... 1940-1945 Fin des mythes, légendes et tabous. Paris Éditions France-Empire.
- Landesarchiv Baden-Württemberg Karlsruhe GLAK 235 Nr. 44270, Akte Grosperrin.
Etat-Civil : née à Wintzenheim le 1er juin 1923, Alice, Jeanne SCHMITT est décédée le 31 mai 2018 à l'âge de 95 ans à Saint-Dié-des-Vosges. Elle était la fille de Victor Schmitt et de Berthe Brengarth. En 1957, elle avait épousé Robert SCHUBEL, chirurgien-dentiste à Gérardmer. Des membres de sa famille résident toujours à Wintzenheim.
À l’automne 1940, l’administration nazie impose brutalement ses décrets en Alsace annexée et astreint les jeunes gens et jeunes filles au travail obligatoire. Plusieurs des dispositions dont il va être question s’imposent également aux jeunes hommes et aux jeunes filles. Mais, afin de contrebalancer l’histoire exclusivement masculine des peuples durant les guerres, - écrite par des hommes - nous allons donner ici la priorité aux femmes. Comme le Reichsarbeitsdienst (RAD), le service du travail obligatoire, n’est promulgué qu’en mai 1941, les jeunes filles se voient signifier qu’il n’est pas question de rester inoccupées au foyer parental mais qu’une année de Pflichtjahr au service de la communauté du peuple les attend. Certaines sont priées de prêter main-forte aux mamans de famille nombreuses dont le mari est à l’armée. D’autres, en tant que Kriegsdienstverpflichtete, personnes assujetties au service auxiliaire de guerre, sont mises à la disposition d’une administration où on leur attribue royalement à titre d’argent de poche, une indemnité de 50 RM et 1 RM de prime d’habillement, payables tous les 10 du mois.
Intégrées dans un service militaire auxiliaire féminin, les jeunes filles de la génération des années quinze et vingt, subissent aussi l’embrigadement de la jeunesse dans le Reichsarbeitsdienst, puis dès 1943 et 1944, comme Luftwaffenhelferinnen (auxiliaires de la Luftwaffe) dans la défense antiaérienne (FLAK) à proximité des villes ou sur les terrains d’aviation ou dans les bureaux de l’armée. D’autres travaillent chez des agriculteurs, dans des commerces, des entreprises ou des services en Bade. Plusieurs enfin, restées en Alsace, suivent, en 1943 et en 1944, le repli dans le Reich de l’entreprise allemande implantée en Alsace.
Les jeunes filles en cours d’étude dans les EPS ou les écoles normales sont, si elles sont revenues de la zone française sud, intégrées dès l’automne 1940 dans le cursus du Sonderlehrgang, déjà cité. D’autres s’inscrivent à la formation de jardinières d’enfants. Les unes et les autres n’obtiennent que rarement l’autorisation de revenir travailler ou enseigner en Alsace, sont affectées dans des régions isolées et ne reviennent chez elles au mieux qu’à l’automne 1944 ou en 1945.
Le régime nazi n’a pas hésité à contraindre les jeunes filles à un travail non rémunéré, ni à les déplacer en Bade. Après la guerre, la République française prend des mesures de réparation. Tous ces emplois donnent la possibilité de se faire reconnaître comme « Personne contrainte au travail pour l’ennemi » (PCaT) après la guerre pour compenser les contraintes subies. Pour constituer leur dossier auprès de l’Office national des Anciens Combattants (ONAC) de leur département de résidence, elles sont appelées à fournir une déclaration sur l’honneur de ne pas avoir participé à des combats ni d’avoir été sous l’autorité militaire. Elles y joignent les convocations ou ordres de mission qu’elles ont encore en leur possession et des attestations ou des témoignages. L’ONAC applique la loi de 1951 [Loi 51-538 du 14 mars 1951 sur le statut des personnes contraintes au travail en pays ennemi, codifiée par la loi 58-346 du 3 avril 1958. – Code des pensions d’invalidité et des victimes de guerre : Article R344-4] et valide la période de travail pour le calcul de la pension de vieillesse du régime général de la sécurité sociale.
Sources :
- Légifrance. ADHR séries 3305W2 et 3305W73.
– Daniel Morgen, Mémoires retrouvées. Des enseignants
alsaciens en Bade, des enseignants badois en Alsace. Umschulung 1940-1945. Bentzinger Editeur, 2014.
Fille d’Oscar Dorgler et de Joséphine Scheibling, Suzanne Louise DORGLER naît le 28 août 1923 à Châtenois où elle réside chez ses parents, 41 rue du Maréchal Foch. En 1941, elle termine ses études secondaires à la Höhere Mädchenschule Schlettstadt (lycée commercial de Sélestat) et obtient le diplôme de sténodactylo. Après avoir sollicité dès juillet un emploi à la poste de sa commune, elle est affectée le 12 août 1941 en tant que Kriegsdienstverpflichtete, au Service des Dommages de guerre allemand de Sélestat, rattaché au Landratsamt (sous-préfecture) de l’arrondissement (Kreis Schlettstadt). En septembre, elle obtient un contrat de personnel auxiliaire qui l’affilie à la Caisse d’assurance maladie et à l’assurance-chômage. Le salaire brut mensuel – un salaire de misère - s’élève à 96 RM, duquel seront déduits l’impôt et les cotisations sociales ainsi que les cotisations volontaires pour le Secours d’hiver (Winterhilfswerk).
1941 au RAD, près de Magdeburg. Suzanne Breitel-Dorgler est accroupie, 9ème en partant de la gauche (collection Patrick Breitel)
1942 au RAD, près de Magdeburg. Suzanne Breitel-Dorgler est la 2ème à partir de la gauche (collection Patrick Breitel)
Le 4 octobre Suzanne quitte le service des dommages de guerre pour suivre le RAD obligatoire à Wulferstadt-Ochersleben, près de Magdeburg (Land Sachsen-Anhalt) du 4 novembre 1941 jusqu’au 27 mars 1942. À son retour elle reprend son emploi antérieur, ce que confirment une lettre du 28 août 1942 adressée à la Caisse d’assurance maladie et une lettre du 16 novembre 1944 au service des paiements de la Zivilverwaltung à Strasbourg.
En octobre 1944, Suzanne a quitté le Landratsamt et a pris un emploi de secrétaire auxiliaire à la mairie de Gerstheim. Fin novembre 1944, suite à l’avancée des troupes alliées, Gerstheim se trouve sur le front. Hitler déclenche la contre-offensive allemande Nordwind le 31 décembre 1944. Suzanne parvient à rentrer à Châtenois dans des conditions périlleuses. L’ordre d'évacuer la population de Gerstheim a été donné. Deux camions sont affrétés. Le véhicule qui précède celui de Suzanne saute sur une mine.
En 1945 elle confirme son diplôme allemand par la réussite de trois CAP de secrétaire dactylo et rédactrice. Elle en est très fière.
Sources : Archives familiales, ADHR 3305W2, Dossier ONAC de Suzanne Breitel-Dorgler.
Que retenir de ces quelques pages consacrées à l’un des épisodes majeurs de l’histoire de l’Alsace ? D’abord, que le sujet de la Umschulung caractérise le mieux la condition de l’Alsace annexée puisque l’objectif de ces mesures de conditionnement politique, moral et psychologique était d’adapter la population au système dictatorial nazi et à la prééminence de la Volksgemeinschaft – la communauté nationale-socialiste –, de la collectivité sur l’individu. La Umschulung vise la soumission absolue des Alsaciens à leur condition d’Allemands de souche et doit leur faire accepter celle de Reichsdeutsche, de citoyens allemands, dont l’incorporation dans l’armée allemande constitue en août 1942 à la fois une nécessité allemande pour la continuation de la guerre et un symbole d’intégration complète.
Ces pages – publiées grâce à l’initiative persévérante de Guy Frank et de Gilbert Bombenger, appuyée par leur présidente Marie-Claude Isner que je remercie - ont tenté de raviver l’histoire de cette période à travers les vécus de leurs prédécesseurs, parents et amis et de les ancrer dans le terroir de Wintzenheim élargi au canton actuel. Cette reconstitution s’appuie aussi sur les témoignages écrits et les récits oraux de première main qui complètent des documents d’archives fragmentaires en temps de troubles. Elles couvrent une grande partie des vécus – la reconversion professionnelle, l’embrigadement, le travail forcé, la résistance intérieure d’hommes et de femmes réfractaires à la nazification.
Les récits sur l’incorporation de force figurent déjà en grand nombre dans le chapitre consacré aux « Années sombres de la Deuxième Guerre mondiale » et à « L’organisation de la Résistance » dans la version numérisée et enrichie du livre « WINTZENHEIM 1939-1945 » publié par Guy Frank en 2004. Enfin, un sujet n’a pour l’instant pas été abordé ici, ni dans ces pages, ni sur le site <http://wintzenheim.histoire.free.fr> : celui de la transplantation (Umsiedlung) des proches de déserteurs et de réfractaires. Ces pages permettront peut-être de faire émerger des témoignages de familles. En attendant, la lecture du livre de Marie-Louise Roth-Zimmermann : « Je me souviens de Schelklingen - Une jeune Alsacienne dans un camp de rééducation nazi », que les bibliothèques d’Alsace conservent sur leurs rayons, réveillera sans doute des souvenirs.
Daniel Morgen, 2024
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