WINTZENHEIM 39-45

Robert Grawey, incorporé de force dans la Wehrmacht


WintzenheimRobert Grawey, ancien épicier de Guebwiller retiré à Bischwihr, est né à Wintzenheim le 19 octobre 1924, fils du cheminot Joseph Grawey et de Jeanne Schaffar. Il avait un frère, René, né en 1922. Il épouse Marguerite Bader en 1948. De cette union sont nés trois enfants : Daniel en 1948, Christian en 1951, et Françoise en 1966 (photo Guy Frank, décembre 2002)

Un récit sans complaisance

Une fois par semaine durant l'année 1983, Roland Pierrel, inspecteur de l'Education nationale aujourd'hui décédé, a rendez-vous avec Robert Grawey au Bristol. Il recueille le récit de cet habitant de Bischwihr, ancien incorporé de force, qui fut longtemps épicier à Guebwiller. Puis il écrit un manuscrit qui tombe ensuite dans l'oubli. En novembre 1999, la famille de Robert décide de faire publier le livre à compte d'auteur.

Le récit, qui ne laisse pas indifférent, raconte le parcours de cet homme né en 1924 à Wintzenheim. Alors âgé de 15 ans, le jeune Robert est envoyé à Pornic en juin 1940 mais quatre mois plus tard il regagne l'Alsace. Il découvre alors une région totalement germanisée.

Détail du sauf-conduit pour Pornic délivré le 1er juin 1940
(collection Robert Grawey)

Ambivalence

A son retour du RAD (service de travail obligatoire), on propose à l'adolescent de passer la ligne de démarcation. La proposition est sérieuse et il court peu de risque. « Afin de décourager toute tentative de fuite, les Allemands avaient décrété la responsabilité du clan, qui prévoyait de rendre responsable les différents membres de la famille des agissements de l'un des leurs », écrit-il. Sa décision est prise, il ne mettra pas ses parents en danger. Mais ce choix entraîne son incorporation de force le 15 octobre 1942.

Il raconte son premier contact avec la guerre en terre soviétique. Plutôt déroutant. A la vue d'un convoi allemand en flammes, il écrit : « Le cœur se serre à l'idée de subir une fin pareille réduits à l'état d'informes paquets noirâtres. Une rage sourde nous prend contre cet ennemi lâche qui attaque les adversaires par surprise, sans réelle défense possible ». Cette phrase résume toute l'ambivalence des Malgré-nous : le rejet de l'uniforme allemand et la nécessité de se battre pour rester en vie.

La mort, quotidienne

Hiver 42, le front. Les souvenirs de Robert sont intacts, le récit est précis, les anecdotes nombreuses, souvent terribles. A la vue de ce qu'il croit être une pile de rondins de bois, il écrit : « Ce que nous avons pris pour du bois, ce sont des cadavres gelés ! Le froid les a saisis dans l'attitude où la mort les a surpris ».

Les tranchées, l'artillerie (« Le vacarme devient infernal. Au-dessus de nos têtes, les gros projectiles passent en hurlant. Les explosions se succèdent arrachant à chaque impact des tonnes de terre gelée dans de dangereux geysers noirâtres »), la mort (« Nous déboulons dans le boyau russe. Le spectacle est ahurissant. Il n'y a plus d'hommes valides. Partout des cadavres mutilés par les éclats d'obus et de bombes »).

Puis vient le temps du ras-le-bol. « Je suis vidé et je m'affale n'importe où et sombre dans un sommeil profond, comme un animal. [...] L'aviation russe vient nous bombarder et je reste là hébété. Qu'importe si je crève ! J'en ai plein le dos de cette foutue guerre ».

Robert Grawey en tenue de sortie de la Wehrmacht. Octobre 1942 à Bad-Mergendheim (collection Robert Grawey)

Culpabilité ?

Robert Grawey participe à la terrible bataille de Koursk en juillet 1943. Il détaille l'offensive avec son unité, sa blessure (éclat d'obus), son rapatriement, sa convalescence. Le récit rebondit lorsque le narrateur parle de sa rencontre avec Anne-Laure, une jeune veuve de guerre allemande de 23 ans, propriétaire d'un restaurant. [...]

Septembre 1944, il rejoint le front de l'ouest et les Pays-Bas. Après sa désertion, il est fait prisonnier par les Alliés puis libéré début 1945. Il termine la guerre sous uniforme français au sein de la 2e Division d'infanterie algérienne. Une phrase résume parfaitement son sentiment : « Inconsciemment, nous ressentons la culpabilité d'avoir porté le mauvais uniforme. Tout nous incite à nous réhabiliter aux yeux du monde et peut-être à nos propres yeux. La Wehrmacht est et sera une souillure dans nos consciences qu'aucune eau ne parviendra jamais à laver. Dans beaucoup d'esprits, le doute subsiste : n'avaient-ils vraiment pas la possibilité d'éviter leur incorporation de force ? » Robert n'exprime aujourd'hui aucun regret. « Il était normal que ça se passe de cette façon »...

Source : Nicolas Roquejeoffre, DNA du mercredi 20 novembre 2002



Notes de lecture : ses retours au village

1940, en revenant de Pornic

Dans le tram... Wintzenheim ! Mon cœur se serre. Voici enfin le moment que j'ai si ardemment désiré depuis plus de trois mois. La sourde appréhension qui m'étreint se dissipe peu à peu. Rien, en apparence, n'a bougé. Je reconnais ces pavés inégaux, terribles, qui font dire aux gens de Colmar qu'après Wintzenheim le monde s'arrête, tellement la traversée du village est difficile en raison du mauvais état de la route. Les caniveaux me rappellent les interminables parties de glissades que nous faisions, avant guerre, à la sortie de l'école, usant nos sabots au grand dam de mon père...

1942, en revenant du RAD

Un tram brinquebalant me conduit à Wintzenheim. Le paysage est celui d'il y a six mois. Plus aucune trace de francisation. L'Allemand est là, solide, quasi inébranlable. Ca risque de durer...

1943, retour de Russie, blessé

Le train commence à ralentir. Il n'y a pas de doute, c'est Colmar. Je reconnais sa petite banlieue... La place de la gare n'a pas changé. On croirait que le temps s'est arrêté ici depuis la dernière fois. Neuf mois plus tard, tout est identique. A présent il va falloir grimper sur ce maudit pont de la gare, car la halte du tramway, elle non plus, n'a pas changé : elle est toujours là-haut...

1946, après la démobilisation

Début février, je reçois, ainsi que mes camarades, les papiers de démobilisation. Mes parents étaient fous de joie de nous revoir tous deux, mon frère et moi. Incorporé de force lui aussi, il s'était évadé lors de la retraite des troupes allemandes en Italie et a été rapatrié en Juillet 1945. Dans le village, nous étions 13 "Malgré Nous" de la classe 1924. Quatre seulement sont revenus...

Source : Notes de lecture, Guy Frank, janvier 2003

Wintzenheim

Hitler, qu'as-tu fait de notre jeunesse ?

Malgré le drame qui se cache derrière ces lignes, voici un livre sain, riche, amusant même parfois.

Adolescent en 1939, Robert Grawey a traversé la guerre de part en part, d'abord spectateur de la "drôle de guerre", puis hélas, comme 140.000 de ses compatriotes alsaciens ou lorrains, acteur, mais du "mauvais côté".

Engagé "malgré lui" dans la Wehrmacht, il participe à la campagne-retraite de Russie en 1943. Blessé, rapatrié sanitaire, il prolonge sa convalescence grâce à sa débrouillardise, mais sera renvoyé sur le front de Hollande en 1944.

Déserteur de l'armée allemande, il est fait prisonnier par les Anglais qui tardent à lui reconnaître sa nationalité. Reconnu enfin, Robert troque son uniforme allemand pour l'uniforme américain et termine la guerre en 1945 sous l'uniforme français.

Recueilli par Roland Pierrel, et préfacé par Jean Daniel Nessmann, le récit de son aventure est vif, alerte, bien écrit. Ce témoignage confirme, s'il en est encore besoin, que la guerre, toutes les guerres, sont pour la jeunesse des écoles de mort qu'il faut savoir traverser avec courage, détachement et aussi humour pour pouvoir en sortir sinon indemne, du moins prêt à continuer à vivre.

Robert Grawey, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, Colmar 2000, 382 pages

 

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