WINTZENHEIM 39-45

Émile Zippert : les Luftwaffenhelfer, qui étaient-ils ?


Émile Zippert (photo Guy Frank, 10 juillet 2004)

Stalingrad, devenue tombeau de l’armée allemande avait entraîné un revirement décisif de la guerre à l’Est après la défaite de la 6ème armée placée sous le commandement du maréchal Paulus. Ses troupes y ont laissé environ 58.000 morts et 201.000 prisonniers (91.000 d’après les Russes) dont 6.000 seulement sont rentrés dans leurs foyers après les hostilités.

Suite à cette défaite, Joseph Goebbels, ministre de la culture et de la propagande du Reich, proclama, le 13 février 1943, la soi-disant "GUERRE TOTALE"; décision éminemment fatale, dont une des conséquences fut l'accélération de l'incorporation de force des jeunes Alsaciens et Mosellans.

Un besoin croissant de combattants

Vu le fort besoin en combattants, le Gauleiter Robert Wagner, soutenu par l'OKW (Oberkommando der Wehrmacht) avait multiplié ses efforts auprès du Führer Adolf Hitler pour que les Alsaciens payent aussi leur tribu en sang en vue de la victoire finale. Ainsi, le 25 août 1942 déjà, le service militaire obligatoire des jeunes Alsaciens dans la Wehrmacht avait été promulgué et les premiers départs eurent lieu au mois de septembre 1942.

Puis par vagues successives, de plus en plus rapprochées, au moins 130.000 jeunes gens et hommes, dont plusieurs dizaines de milliers ne sont plus revenus, avaient finalement été enrôlés de force à travers toutes les villes et villages d’Alsace.

Les besoins du IIIème Reich en combattants devinrent tels, que les nazis n’hésitèrent pas à incorporer des jeunes qui avaient tout juste 16 ans, voire moins, des adolescents appelés étudiants mais qui en réalité n’étaient encore que collégiens ou lycéens, pour les verser dans les unités combattantes de la DCA comme auxiliaires de défense anti-aérienne, Luftwaffenhelfer, en abrégé LWH.

Des jeunes de Wintzenheim incorporés de force

A Wintzenheim même, comme dans tout le pays, après bien des aînés contraints de revêtir l’uniforme allemand, on fit appel à des recrues de plus en plus jeunes. Huit garçons et une fille furent ainsi incorporés de force comme LWH.

Il s’agit de :
Né en 1927
Muller Yves, étudiant
Nés en 1928
Grawey Ernest, apprenti
Hertzog Paul, étudiant
Hippert Jean, étudiant
Keller Charles, étudiant
Landbeck André, apprenti
Schmitt Jean-Pierre, employé
Zippert Émile, étudiant
Née en 1923
Muller Antoinette

Illustrations : timbres allemands représentant la Flak (collection Émile Zippert)

Qui sont les LWH ?

Ce qui en mai 1942 avait commencé comme Heimatflak (défense aérienne de la patrie, FLAK étant l'abréviation de Flieger-Abwehr-Kanone), où les ouvriers et employés d'une usine ou d'un site économique important étaient, en cas d'attaque aérienne, appelés à servir le canon, prenait du fait des attaques aériennes de plus en plus fréquentes sur l'Allemagne, une dimension telle, qu'il devenait indispensable de disposer de défenseurs permanents. Ainsi donc, le 26 janvier1943, l'Allemagne décrétait l'incorporation des jeunes lycéens et collégiens dans la Heimatflak. La dénomination n'avait en rien changé..

Cette mesure avait également pour but de libérer des troupes pour le front : 100 LWH remplaçaient 70 soldats de DCA. Lors de son application, ce décret ne se limitait pas aux seuls étudiants, mais finalement s'étendit aussi aux jeunes apprentis. Le terme Helfer n'était qu'une vaste tromperie, car en réalité ces jeunes étaient des soldats à part entière.

Effectivement, après avoir passé un conseil de révision rudimentaire, les recrues étaient dirigées par convois, encadrées par des gradés, militaires de la Flak, vers un centre d'intendance où elles touchaient leur paquetage. Depuis là, elles rejoignaient un camp d'entraînement et d'instruction militaire. Un de ces camps se trouvait à Chiemingen au Chiemsee en Bavière..

Dans ces camps, la formation de fantassin pouvait se limiter à peu de chose. Les adolescents venant de la HJ (jeunesse hitlérienne), qui depuis 1942 était obligatoire en Alsace pour les jeunes à partir de 14 ans, avaient déjà subi entraînement et formation militaires, entraînement encore intensifié dans les Wehrertüchtigungslager (camps de préparation militaire supérieure) dirigés par des gradés de la Waffen SS détachés des différents fronts et souvent hautement décorés en vue d'impressionner les jeunes. Par contre, on y poussait à l'extrême les exercices de maniement des pièces de DCA, essentiellement des canons de 20 mm, 37 mm ou 88 mm. On y apprenait à remédier, dans l'obscurité, aux incidents de tir, à connaître les explosifs et la balistique, ainsi qu'à identifier les différents types d'avions.

Par ailleurs la journée était très chargée : la discipline et l'ordre étaient stricts et les repas frugaux. Une vraie vie de spartiate durant 6 semaines où l'adage des instructeurs était que la sueur vous épargne le sang.

Pour se faire une idée plus précise de la vie dans ces camps et, par la suite dans les batteries, il faut savoir qu'un jeune de 16 ans toisant 1,80 m. pesait encore tout juste 48 kg et son tour de taille, ceinturon sur manteau, était de 76 cm. On peut dire qu'il n'y avait pas que le monde concentrationnaire qui avait droit à la disette ! La ration quotidienne normale était, si je ne me trompe, fixée à 2300 calories / jour, mais la plupart du temps, et surtout à partir de 1944, elle ne dépassait pas 1500 calories pour des jeunes en pleine croissance. Heureusement on se trouvait en saison automnale. Donc on pouvait "s'approvisionner" en pommes, noix et autres fruits. Sur recommandation d'un prisonnier de guerre russe, nous mangions des fruits d'églantiers épluchés, riches en vitamines C.

Une fois l'instruction terminée, les jeunes LWH étaient répartis et affectés dans les unités combattantes de la DCA où ils devaient participer à la guerre sous commandement militaire, sacrifiant ainsi leur jeunesse et risquant leur vie pour tout juste 50 pfennigs par jour. Ils étaient le plus souvent envoyés aux endroits les plus exposés, notamment à la défense des ponts ferroviaires importants, des grands barrages et centrales électriques, des complexes industriels tels la Ruhr, des installations militaires, et aussi comme convoyeurs de trains de toutes sortes avec mission de DCA. Ils étaient entièrement soumis au code pénal de la Wehrmacht ainsi qu'à toutes les servitudes militaires.

Le champ d'opération des LWH alsaciens se situait, en gros, au sud du 50ème parallèle de latitude nord, c'est à dire au sud d'une ligne Mayence-Prague, donc parler de Heimatflak est une farce grossière. Pour des raisons de sécurité, on associait des Reichsdeutsche (Allemands du Reich) aux LWH originaires des pays occupés et annexés contrairement à toutes les conventions internationales.

Pour être complet, cet article se doit aussi de mentionner les filles, qui elles avaient également été incorporées de force dans les transmissions comme Nachrichtenhelferinnen (auxiliaires de transmission) ou aux projecteurs comme Flakwaffenhelferinnen (auxiliaire à l’armement des canons anti-aériens).

En conclusion

En Alsace-Moselle on estime qu'environ 2500 à 3000 jeunes gens, au moins, ont dû être touchés par cette "épidémie", vu que pour l'ensemble de l'Allemagne on table sur approximativement 200.000 LWH. A notre connaissance, aucun chiffre, aucune estimation du nombre de LWH. tués n'a jamais été officialisé. Pourquoi ?... Pourtant, il est certain qu'il y eut de nombreuses pertes dans les batteries, notamment à Cologne, Stuttgart, Hambourg, Dresde, Nuremberg, etc.. lors des nombreuses attaques aériennes et intenses bombardements.

Après la guerre et malgré les faits irréfutables, ces jeunes ont encore dû se battre pour obtenir leur reconnaissance comme incorporés de force avec carte du combattant. A cet effet, a été créée le 28 mars 1981 une "Association des anciens Luftwaffenhelfer" couvrant l'Alsace et la Moselle avec siège à Wintzenheim. Elle avait pour but l'objectif noté ci-dessus. Son action persévérante a finalement été couronnée de succès en 1985, sous le mandat du ministre des Anciens Combattants et Victimes des Guerres, Jean Laurain.

Source : Émile Zippert, Annuaire de la Société d'Histoire de Wintzenheim n°4 - 2000

Photo souvenir de la "Promotion février 1944 " - Oberschule Mathias Grünewald (Lycée Bartholdi).

Le photographe a saisi un groupe de LWH à l'issue des classes à Pfortzheim en Allemagne, en compagnie des instructeurs. Les sourires des uns et des autres ne sauraient masquer le tragique de la situation : des jeunes, certains avaient à peine 15 ans, arrachés à leurs familles et aux bancs de l'école.

Figurent sur cette photo : Charles Keller, aujourd'hui curé à Bergholtz, et le Dr Bernard Ribstein, bien connu des habitants de Wintzenheim.

Le même groupe en exercice. A cette époque février-mars 1944, les activités se partageaient entre une instruction militaire et une formation scolaire, à raison de 2 demi-journées hebdomadaires dans une école de la ville (Pforzheim) avec des enseignants civils. Le but affiché de cet enseignement scolaire était de compenser l'interruption brutale des études, mais en fait le législateur voulait se donner bonne conscience (si conscience il y avait) auprès des familles. A l'issue de la formation toute la promotion a été dispersée dans les diverses unités de la FLAK sur les hauteurs de Pfortzheim. Enfin, après un Studienurlaub (permission) de quelques semaines, un grand nombre s'est retrouvé dès l'été 1944 en position près de Strasbourg, et ce jusqu'à la libération.

Les photos sont de Roland Kinderstuth, aujourd'hui décédé et les commentaires de Paul Hertzog, enfant de Wintzenheim. Tous les deux appartenaient à la promotion évoquée ci-dessus.


Titre de transport émis le 13 octobre 1944 au nom d'Émile Zippert, qui remplissait les fonctions de téléphoniste dans les transmissions de l'unité 6. Bttr. / leicht. Flak-Abt. 721 (ortsfest). Ce titre valant pour le retour à l'unité après sa permission n'a jamais été utilisé, suite à son évasion (collection Émile Zippert)

Émile Zippert : le récit de mon évasion

Né à Colmar le 16 avril 1928, j'ai été incorporé de force le 19 août 1944, à l'âge de 16 ans, comme Luftwaffenhelfer. Je me suis évadé après une permission de quatre jours qui m'a été accordée le 13 octobre 1944 pour le lendemain. A partir du dernier jour de ma permission, je me suis caché, passant mes journées dans les bois et les grottes au-dessus de Wintzenheim. A la tombée de la nuit, je trouvais refuge alternativement chez mon oncle, Henri Zippert, 6 rue du Lieutenant Capelle (à l'époque Wagestrasse), et chez ma grand-mère, Marie Zippert, rue de la Basse Porte (Untertorgasse). Après la mi-novembre 1944, je suis le plus souvent resté chez mes parents, 45 rue Principale, et ce jusqu'à la Libération, le 2 février 1945.

Source : Émile Zippert, témoignage confié à Guy Frank le 12 juillet 2004



Malgré Nous - Émile Zippert passe la main

Émile Zippert quitte la présidence de l'Association des Anciens Luftwaffenhelfer et Helferinnen d'Alsace et de Moselle. Il avait fondé l'AALHAM en 1980 avec une poignée de camarades, eux aussi obligés de servir sur les sites de la défense antiaérienne allemande pendant la Seconde guerre mondiale.

Lors de la dernière assemblée générale de l'association, Émile Zippert a officiellement passé la main au vice-président de l'ADEIF du Bas-Rhin Maurice Meyer, qui a remis au président partant la médaille de vermeil de la « Société d'encouragement au bien ».
Médaille accompagnée de la mention suivante : « Émile Zippert s'est investi pendant 25 ans pour la reconnaissance des droits des victimes du nazisme qui, à l'âge de l'adolescence, ont été entraînés de force et sous la menace de représailles pour leur famille dans un service de guerre ».

Enrôlé à 16 ans

Cet enfant de Wintzenheim (où il habite toujours) a été, comme beaucoup de ses camarades, enrôlé de force dans une unité de la FLAK (Défense antiaérienne allemande) en août 44. Il avait 16 ans. Depuis 1942, ses aînés avaient connu l'incorporation de force et avaient été envoyés sur les fronts de l'est ou de l'ouest. Mais au fil des événements, les États majors nazis ont « réquisitionné » des classes d'âge de plus en plus jeunes. C'est ainsi que les classes 26, puis 27 et 28 ont été enrôlées de force dans la FLAK.
Lycéen à l'école de commerce de Colmar, Émile Zippert fut l'un de ceux-là. Incorporé le 21 août 44, il s'est évadé le 14 octobre pour ne revenir à Wintzenheim qu'en février 45.
« Au début, il n'était question que de défendre des sites locaux, comme l'usine Daimler-Benz de Colmar par exemple. Mais au fil des semaines, nous voyions partir des camarades vers la Tchécoslovaquie, la Hongrie ou l'Allemagne de l'Est pour tenir des batteries de défense aérienne protégeant des ponts ou de grandes entreprises », explique Émile Zippert.

Cinq années de « combat »

Après la guerre, Émile Zippert fut l'un de ceux qui menèrent le long combat de la reconnaissance du statut de ces jeunes gens à qui les Nazis avaient volé leur jeunesse. En effet, depuis 1948, les Luftwaffenhelfer et Helferinnen se heurtaient à l'incompréhension des instances qui leur refusaient de faire valider leurs droits à l'incorporation de force dans l'armée allemande.
C'est pour faire reconnaître ces droits qu'Émile Zippert et une poignée d'anciens Luftwaffenhelfer ont créé en 1980 l'Association des anciens Luftwaffenthelfer et Helferinnen d'Alsace et de Moselle (AALAM).
Un combat de cinq années qui aboutit, le 19 avril 1985, à la reconnaissance officielle par le secrétaire d'État aux anciens combattants Jean Laurain de la qualité d'incorporés de force pour ces jeunes gens et jeunes filles enrôlés dans la FLAK.
20 ans après, Émile Zippert passe la main. Il a bientôt 78 ans... et a largement de quoi s'occuper dans le cadre de ses fonctions au Conseil départemental de l'Office national des anciens combattants du Haut-Rhin. Et dans les massifs du splendide jardin qui entoure sa maison, rue des Tulipes à Wintzenheim.

Source : M.T., DNA du samedi 12 novembre 2005

Émile Zippert est décédé le 3 juin 2007 à l'âge de 79 ans.


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