Originaire de Wintzenheim, antiquaire reconnue établie à Paris et spécialiste de l’art asiatique, Florine Langweil est l’une des onze figures mises en avant pour les 170 ans du musée Unterlinden à Colmar. Marchande d’art exigeante, mais qui a enrichi les collections de nombreux musées, notamment en Alsace.
Portrait de Florine Langweil, collectionneuse d’œuvres et d’objets d’art anciens qui a fait don de nombreuses pièces au musée Unterlinden. Une peinture signée par André Noufflard. Photo Musée Unterlinden
Florine Langweil, née Ebstein, est originaire d’une famille modeste installée dans le village de Wintzenheim. Elle a 20 ans en 1881, alors orpheline, elle décide de s’installer à Paris chez sa tante qui tenait une épicerie alsacienne. Elle y fera une rencontre décisive, celle de l’antiquaire Charles Langweil, et l’épouse en 1885. Après huit ans de mariage, Charles finit par abandonner sa femme et ses deux petites filles, ainsi que son magasin laissant à Florine Langweil de nombreuses dettes.
Une épreuve dont elle se relèvera. Courageuse, elle
entreprend de redresser l’affaire de son mari et se spécialise dans les domaines
de l’art chinois et japonais.
Avec le temps, elle offre une solide réputation à sa
boutique. Son affaire prenant de l’ampleur, elle achète une vaste maison place
Saint-Georges et y installe son magasin inauguré en janvier 1903. L’intérêt pour
l’art japonais décline au début du siècle, ce qui pousse Florine Langweil à se
spécialiser davantage dans l’art chinois.
Très pointue, elle ne cesse de se documenter, de courir les
ventes aux enchères et organise elle-même en Chine des fouilles depuis Paris.
Elle parvient à se constituer une prestigieuse collection personnelle, et elle
compte parmi ses clients d’importants collectionneurs.
En 1913, en estimant son travail accompli, Florine Langweil
cesse son activité et installe les plus belles pièces de sa collection dans
l’ancien hôtel de Talleyrand et se prépare à un long voyage en Chine.
La guerre trouble ses projets deux ans plus tard, alors que
la France est envahie. Elle fonde chez elle une œuvre d’aide aux réfugiés, La
Renaissance des foyers en Alsace et organise des expositions au profit de
l’armée française. Pour ses actions pendant la guerre, elle reçoit en 1921 la
Légion d’honneur à Wintzenheim.
Quand elle se retire des affaires, elle sème la
consternation chez les amateurs d’art mais elle considère avoir fait son chemin.
Dès la liquidation de son magasin parisien, elle organise des dons aux musées de
Paris et aux musées alsaciens de Strasbourg, Colmar et de Mulhouse. Le don de
1926 à Unterlinden comporte notamment cinq poncifs japonais et peinture chinoise
de l’époque Ming provenant de la collection de son oncle Paul Cosson. On compte
à ce jour au musée Unterlinden (où une salle porte son nom), plus de 250 objets
dont l’origine est certifiée.
Préoccupée par la pauvreté de l’art français dans les
musées alsaciens, Florine Langweil souhaite compléter leurs collections. En
1923, elle offre un paysage d’Henri Rivière et une Étude pour un visage d’Ary
Scheffer, en 1925 un paysage de Léon Belly et en 1949, le Portrait de Joseph le
Cœur (lire ci-après) par Renoir, ainsi que son portrait avec ses filles peint en 1905
par Jacques-Émile Blanche.
Ces dons de peinture française sont animés par un esprit
patriotique, ils venaient saluer le retour de l’Alsace à la France. Ces
donations appartiennent à un mouvement manifesté par de nombreux notables après
les deux Guerres mondiales à l’égard des musées des territoires annexés
d’Alsace-Moselle. Le reste de ses collections furent vendues, selon sa volonté,
à l’Hôtel Drouot en juin 1959, quelques mois après sa mort.
Source : Dom POIRIER, L’ALSACE du 22 août 2023
Parmi les nombreux dons faits aux musées alsaciens
déshérités après guerre par Florine Langweil, il y a ce petit portrait sensible
signé par Pierre-Auguste Renoir. Il a été offert au musée Unterlinden de Colmar en 1949.
Cette toile signée Renoir n’est pas bien grande, proche du
format A4. Mais elle est particulièrement touchante. Ce qu’elle a de particulier
c’est qu’elle précède de quelques années la période impressionniste du peintre,
sans doute la plus connue du grand public. Réalisé vers 1870-1872, le Portrait
de Joseph Le Cœur s’inscrit dans une série d’effigies de la famille Le Cœur avec
laquelle Pierre-Auguste Renoir semble être en relation dans les années 1865 à 1874.
L’artiste entretient avec eux des liens autant amicaux,
voire familiaux, que professionnels : Charles, le père de Joseph, était le
beau-frère de la sœur de Lise Tréhot, modèle et compagne de Renoir.
Le Portrait de Joseph Le Cœur (1860-1904), peint vers 1870-1872 par Pierre-Auguste Renoir, est une huile sur toile de 27 cm sur 21,5 cm. Un don de Florine Langweil au musée Unterlinden. Photo L'Alsace/Christian KEMPF
Vers 1868, Charles Le Cœur, qui exerce la profession
d’architecte, construit un hôtel à Paris pour le prince Bibesco et confie à
Renoir la réalisation de deux plafonds aujourd’hui disparus. Ces liens forts se
concrétisent par une série de portraits, souvent isolés, de Joseph, Marie et
Marthe, les enfants de Charles ainsi que de ses parents.
Dans le portrait de Joseph, Renoir évoque la personnalité
de l’enfant et touche le spectateur par la transcription de ses émotions,
notamment une mélancolie diffuse que renforce l’inclinaison de la tête, se
détournant de l’axe des épaules. Le cadrage serré, le fond neutre, la palette
réduite à un dégradé de blanc et de noir à peine animé par le rouge des lèvres,
permettent à Renoir de concentrer l’attention du spectateur sur le regard voilé
de spleen de l’enfant.
Par l’intermédiaire de la galerie Hector Brame, une des
plus importantes galeries parisiennes, l’œuvre est mise sur le marché de l’art.
La toile est alors achetée par Florine Langweil (lire ci-dessus), une Alsacienne
enrichie dans le commerce d’antiquités asiatiques. En 1949, celle-ci décide
d’offrir le portrait au musée Unterlinden, ainsi qu’une importante collection
d’objets chinois et japonais.
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