WINTZENHEIM 39-45

Incendie du 12 janvier 1945 : les témoins racontent


WintzenheimMarguerite Liechty le 24 mars 2000, à l'âge de 93 ans (photo Guy Frank)

Témoignage de Marguerite LIECHTY

Dans un vieil agenda, Marguerite Liechty avait noté, avec beaucoup de minutie, les évènements quotidiens qui ont marqué Wintzenheim de décembre 1944 à février 1945. Ces notes, écrites au crayon, relatent jour après jour la vie de Marguerite, née le 22 octobre 1906, et de son entourage durant ces difficiles combats de la poche de Colmar. Elle travaillait chez Herzog à Logelbach, et habitait avec son père dans une maison louée au 108 de la rue Clemenceau (actuellement le 102) à Wintzenheim...

Samedi 13.01.45 : la nuit du 12 au 13 a été catastrophique pour notre village. A partir de 19h45 des obus sont tombés, provoquant des incendies. Alors que les pompiers et d'autres personnes étaient en train de combattre le feu (travail rendu très difficile par le manque d'eau et le grand froid), un autre obus est tombé faisant un horrible carnage. On compte 12 victimes* civiles plus 15 soldats.

* Une 13ème victime, Alice Zibolt, décèdera le 17 février à l'hôpital Pasteur de Colmar.

Source : le petit journal de guerre de Marguerite Liechty (collection Guy Frank)



Témoignage de Denis HAEFFELE

50 ans après la tragédie, Denis Haeffelé a fait appel à ses souvenirs pour immortaliser l'incendie. La scène est vue depuis la rue Serpentine. Au premier plan, le mur des anciennes écoles. On distingue le clocheton sur le toit de l'école des garçons et l'obus qui a endommagé le clocher de l'église Saint-Laurent.


Wintzenheim

 (Denis Haeffelé, peinture acrylique, janvier 1995)


Témoignage de Charles KEISSER

La journée du 12 janvier 1945 est gravée dans ma mémoire, d'autant plus que c'était le jour de l'inhumation de mon fils Modeste Keisser, de Albert Haebig et de Joseph Hoffert, tous tués le 10.01.1945 par faits de guerre. La journée fut froide, les trois victimes dans leurs caisses rassemblées devant la grande croix du cimetière furent bénies par M. le curé Ries. Il était impossible d'avoir des cercueils, le Bürgermeister Irrmann envisageait même d'utiliser des sacs en papier pour la sépulture des victimes. Tout s'est passé assez vite, vu l'insécurité. Vers 18 heures, le premier obus tomba entre la maison du Dr Kretz et celle de M. Brauneisen. La batterie, comme on me l'a confirmé plus tard, était postée à Saint-Hippolyte et a tiré alternativement ce jour sur la route nationale 417 à partir de la Croix-Blanche jusqu'au Saint-Gilles. Vers 20 heures, un obus tomba rue de la Victoire, qui était en ce temps un cul-de-sac, détruisant la maison Blauler et mettant le feu aux décombres. Le feu se propagea très vite aux maisons voisines (Dietrich, Bernhart, etc). J'ai vu le ciel s'embraser vers la place du marché (actuelle place de la République). Malheureusement la commune, depuis plusieurs jours, n'était plus alimentée en eau. Nous savions qu'il restait très peu de chance d'éteindre un incendie pareil avec les moyens disponibles. Néanmoins, nous avons sorti la pompe à bras du hangar, situé dans la cour de la mairie. M. le curé, aidé du vicaire, nous a éclairé de sa lampe de poche. La pompe placée devant la fontaine place du marché, les tuyaux furent vite disposés jusqu'au sinistre 200 mètres plus loin. Les habitants des maisons en feu étaient massés dans la rue et regardaient leurs biens qui partaient en fumée. Je m'en rappelle comme si c'était hier : pendant que je dirigeais le pauvre jet de la lance vers la maison Bernhart, surgit un officier allemand qui me donna l'ordre de faire venir plus d'eau "Machen Sie, dass mehr Wasser kommt !". Je lui explique que c'est pratiquement impossible, vu que la pompe est alimentée à bras d'hommes. En m'arrachant la lance des mains, il me répond "Das kann ich auch halten, machen Sie sich weg, und sorgen Sie dafür, dass mehr Wasser kommt" (Laissez, je peux la tenir, allez, et débrouillez vous pour qu'il y ait plus d'eau.). Heureusement, il n'y avait pas de vent cette nuit-là, toute la rue de la Victoire y aurait passé. Nous ne pouvions vraiment pas faire mieux ; avec 2 ou 3 lances alimentées par la conduite, nous serions arrivés à éteindre le feu. 

Je retournai place du marché pour relayer ceux qui travaillent à la pompe, il pouvait être 22 heures. Un sifflement au-dessus de nos têtes, tout le monde se jette par terre à plat ventre. Un bruit sourd, la pression dans la pompe diminue d'un seul coup, et les tuyaux gèlent très vite. Je me souviens toujours d'un grand gaillard de soldat emportant une jeune fille sous son bras, courant vers le corps de garde en nous criant "Alles Scheisse, alles im Arsch !" (Quelle merde, on l'a dans le c.. !). Cet obus en plein dans le feu a fait tant de morts parmi la population et parmi les soldats allemands, y compris l'officier qui avait pris ma place. Le fait d'y avoir échappé de peu m'a tellement bouleversé que je n'étais plus capable de rien faire ce soir là. 

De l'autre côté, rue Serpentine, il y avait des sauveteurs au travail, qui ignoraient ce qui se passait rue de la Victoire. Si mes souvenirs sont bons, les blessés furent évacués sur l'hôpital de Colmar dans la nuit même, par une unité de la Wehrmacht cantonnée à la ferme Saint-Gilles. 

Le lendemain, ayant reçu le "Stellbefehl" pour Gumbinen en Prusse, j'ai quitté Wintzenheim pour me mettre à l'abri. 

Source : lettre du 28 janvier 1965, Archives Municipales de Wintzenheim


Témoignage de Marcel BATTO

Le massacre gratuit. Une nuit mémorable, des obus tirés par les Américains tombaient drus sur le quartier d'habitation riverain de l'école. La sirène étant hors service, un pompier volontaire, Fernand Tag, circulait en vélo pour sonner le clairon et appeler des secours pour combattre l'incendie. Le quartier a d'abord été la cible d'un bombardement d'obus incendiaires. Ensuite, alors que de nombreuses personnes étaient sur place pour lutter contre le feu, on a tiré des obus explosifs faisant de nombreux morts parmi les secours. 

Le lendemain matin, 30 cadavres étaient alignés dans la cour du presbytère. Difficiles à reconnaître, parce que noirs de fumée, comme calcinés, certains en morceaux dans des sacs que nous ouvrions pour voir s'il s'agissait d'une connaissance. Il y avait quelques enfants dont Pierre Schuller, un copain, des militaires allemands venus aider ainsi que des civils comme Riedinger Paul, l'épicier du coin que je connaissais bien.

Source : De Marcelala en Cela ou Les périlleuses cabrioles d'une jeunesse débridée sous le régime du "Ersatz", 1994


Témoignage de Robert HAEFFELIN

Le 12 janvier 1945, un obus toucha la maison du Dr Kretz située dans la rue Principale (actuel 47 rue Clemenceau), M. Charles Haeffelin (mon père) en fonction d'alerte pour les pompiers devant le poste de garde de la Mairie a reçu dans sa jambe un éclat d'obus. Après avoir, avec son clairon, sonné l'alerte pour les pompiers, il a été transporté à l'hôpital Pasteur de Colmar pour y être opéré. Dans ce récit il me disait toujours que cela lui a sûrement sauvé la vie, car sans cet éclat il aurait été parmi ceux qui ont essayé d'éteindre l'incendie dans la "Tremmergass" (rue en ruines), nom donné au quartier après la guerre.

Source : Robert Haeffelin, Muhlbach, mail du 29 janvier 2005


Wintzenheim Mariette Giovancarli, née Roth (photo Guy Frank, 3 septembre 2003)

Témoignage de Mariette GIOVANCARLI, née Roth

On se trouvait dans la cave de la brasserie Imbach, quand ma cousine Antoinette Kling est venue me chercher, en me disant qu'il y avait le feu chez eux, dans la Wolfsgasse. Je suis allée l'aider pour essayer de sauver quelques affaires, des vêtements et du linge. Nous avons ainsi fait plusieurs voyages avec une "marikkutsch" entre la Wolfsgasse et notre maison rue des Vignerons.

Nous étions dans la grange Kling quand un nouvel obus est tombé dans la rue. Antoinette a été blessée à la gorge, et moi à l'œil et aux deux jambes. Je voulais rejoindre notre maison par la rue de la Petite Porte car les obus continuaient à tomber dans la Wolfsgasse, mais je me suis évanouie devant la maison d'Engel Marie. Là, le Dr Kretz ou Pflimlin, je ne sais plus, est venu m'examiner, et voyant la gravité de mes blessures, il m'a fait évacuer vers Colmar.

Nous étions quatre dans l'ambulance. Moi-même, Albert Bernhart, et deux autres personnes. A l'hôpital Pasteur, une infirmière m'a fait des compressions pour essayer de sauver ma jambe. Le chirurgien allemand voulait m'amputer, mais le Dr Dettloff m'a opérée, en disant que ce serait dommage de couper la jambe à une jeune fille de 20 ans.

Avaient également été blessés cette nuit-là et ont survécu à leurs blessures : ma tante Mme Kling née Schmitt, ma cousine Antoinette Kling, Braun Joseph, père de l'appariteur Louis Braun, et Lucie Zibolt.

Quand je suis revenue à Wintzenheim au mois d'avril, j'ai fait la connaissance de mon mari, Laurent Giovancarli, sergent-chef mécanicien d'armement dans l'armée de l'air, groupe "Ardennes". Il logeait chez les Breysacher, dans le haut du village. En effet, les sous-officiers logeaient chez les particuliers et se restauraient chez Imbach, rue de la Brasserie. Les hommes de troupe étaient logés et nourris dans l'usine "Jaz", et les officiers à l'Hôtel Meyer.

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 3 septembre 2003

 


WintzenheimYvonne Beyer, née Bernhart (photo Guy Frank, 18 mars 2004)

Témoignage d'Yvonne BEYER, née Bernhart

Le soir du 12 janvier 1945, j'étais, avec toute ma famille, dans la cave de la maison Zibolt, nos voisins. Trois obus sont tombés dans notre rue.
Le 1er obus est tombé sur la maison Blauler. Nous avons entendu une grande explosion, et quand nous sommes montés dans la rue, nous avons vu la maison qui s'était écroulée comme un château de cartes. Le toit, quasi intact, était descendu d'un étage. Aucun incendie n'était visible à ce moment-là. Par mesure de précaution, nous sommes redescendus à la cave.
Le 2ème obus est tombé sur la grange Gspann, accolée à notre maison. Quand nous sommes montés, nous avons vu les flammes sur la grange. La paille et le foin avaient pris feu. Les pompiers, des militaires allemands et les voisins du quartier sont venus aider à combattre l'incendie. D'autres  assistaient au désastre, impuissants.
Le 3ème obus est alors tombé en pleine rue, au milieu de tous ces gens. C'est cet obus qui a fait une multitude de morts et de blessés. Après cette explosion sanglante, les pompiers et les badauds se sont enfuis, laissant les flammes continuer leur œuvre dévastatrice.
Lorsque ce troisième obus est tombé en plein sur la foule, je me trouvais devant la maison Zibolt, avec mes parents et la famille Zibolt. J'ai été blessée par des éclats, et j'ai fui, avec ceux qui pouvaient marcher, vers la maison Zibolt rue du Logelbach. Mon père, blessé au ventre, a été évacué vers le poste de premier secours, là où habite actuellement le viticulteur Bernard Staehle.
Chez les Zibolt, un médecin militaire allemand est venu m'examiner, et m'a fait évacuer sur Colmar, dans une ambulance militaire où se trouvait également mon père. Après nous avoir pris en charge, l'ambulance s'est arrêtée le long de la Mairie pour attendre d'autres blessés. C'est là qu'un nouvel obus est tombé sur le clocher de l'église. Mon père, au fond de l'ambulance, a crié au chauffeur : "Fahr zu, sonst verrecken wir alle am Platz" (Démarre, sinon, nous allons tous crever sur place !).
C'est ainsi que je me suis retrouvée dans les sous-sols de l'hôpital Pasteur, protégés des bombardements par des montagnes de sacs de sable, dans une atmosphère lourde et fétide. Mon père est décédé dans la nuit. Moi, je suis restée à l'hôpital pendant près de 3 mois.

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 9 mars 2004 


WintzenheimLucie Burgunder, née en 1924 à Wintzenheim, a eu 80 ans le 23 janvier 2004 (photo Guy Frank, 31 mars 2004)

Témoignage de Lucie BURGUNDER, née Zibolt

Début 1945, j'avais 20 ans. Le soir du 12 janvier, je me trouvais dans la cave de notre maison, dans la Wolfsgasse, avec mes parents, les familles Blauler, Bernhart, Paul et Yvonne Beyer. Ils dormaient tous chez nous car notre cave était bien profonde. On s'y sentait en sécurité.

Quand le premier obus est tombé dans le quartier, on est monté dans la rue, voir ce qui se passait. Nous avons vu la maison Blauler rasée par l'explosion. Rien ne brûlait. Par précaution, nous sommes redescendus à l'abri. C'est après la deuxième explosion que l'incendie a éclaté au fond de la rue, à deux maisons de la nôtre. Nous avons aidé les pompiers, faisant la chaîne pour passer les seaux d'eau glacée de mains en mains. L'incendie attirait aussi des curieux. Toute ma famille aidait : mon père, ma mère, ma sœur Alice âgée de 13 ans, et moi. C'est là qu'est tombé l'obus meurtrier.

Je me suis écroulée et j'ai perdu connaissance. Quand j'ai essayé de me relever, je me suis aperçue qu'il me manquait un pied. Près de moi, Albert Bernhart me suppliait :"Aide moi, aide-moi !". Au même moment, on m'a annoncé que mon père était mort. J'ai dit : "Alors, je veux mourir aussi". Paul Beyer, qui avait été lui-même blessé en Russie, s'est approché de moi et m'a dit : "Au sein de la Croix-Blanche, tu as appris à aider les autres, maintenant, occupe-toi de toi !". Ca m'a redonné un peu de courage. Je n'avais sur moi qu'un mouchoir, je l'ai utilisé pour poser un garrot au-dessus de mon pied arraché. J'avais aussi pris des éclats dans la main, le dos, la figure, mais ces blessures étaient moins graves. Je pense que ce sont ces quelques mots d'encouragement de Paul Beyer qui m'ont sauvé la vie. Sans cela, je me serais laissée mourir. On m'a enveloppée dans une couverture et je me suis retrouvée à un poste de premier secours. Puis on m'a emmenée à l'hôpital Pasteur à Colmar où j'ai été opérée dans la nuit.

Maman a reçu des éclats d'obus à la tête. Ne pouvant plus rentrer dans la maison qui était en flammes, elle est partie chez mon frère, Alfred Zibolt, qui habitait rue du Logelbach. Tout ce qu'elle a pu emporter, c'est une photo de notre famille et un réveil. Juste de quoi meubler le dessus d'une table de nuit. Par la suite, elle est passée d'hôpital civil en hôpital militaire. Elle ne se souvenait d'aucun détail de cette nuit meurtrière et ne s'est jamais vraiment remise du choc et de ses blessures, perdant peu à peu sa mémoire et son autonomie. Elle est décédée en 1965.

Ma petite sœur Alice a aussi été blessée aux jambes. Elle commençait à aller mieux quand elle fut touchée par la diphtérie qui sévissait dans les caves de l'hôpital. Puis son cœur a lâché et elle est décédée le 17 février.

Quant à moi, je suis restée plusieurs semaines à l'hôpital, ignorant quelques jours durant que notre maison avait brûlé. Le 2 février, jour de la Libération, j'étais toujours à l'hôpital de Colmar, dans une grande salle commune. Quand nous avons entendu les tirs des chars et des mitrailleuses, j'ai mis mon édredon sur la tête pour ne plus rien entendre. A l'époque, il n'existait pas encore de soutien psychologique pour les victimes de tragédie comme celle que je venais de vivre. Nous étions seuls avec nous-mêmes, avec nos peurs et nos angoisses.

Mon frère Alfred avait été épargné par les obus le 12 janvier 1945. Il est mort quelques années plus tard devant le bureau de poste suite à un accident provoqué par un camion américain. Il a subi d'importantes opérations, mais les médecins n'ont pas pu le sauver.

Source : témoignage recueilli par Guy Frank à Riedisheim le 31 mars 2004

Lucie Burgunder, née Zibolt le 23 janvier 1924 à Wintzenheim, est décédée le 9 août 2014 à Ensisheim.

Wintzenheim

La famille Zibolt avant la naissance de la petite soeur Alice


WintzenheimMarie-Rose Ludwig, née Schuller (photo Guy Frank, 23 mars 2004)

Témoignage de Marie-Rose LUDWIG, née Schuller

La famille Schuller habitait dans la maison Bourguignon, en bas du "Béckala", une petite impasse qui descendait de la Wolfsgasse derrière la maison Bernhart. Notre fenêtre donnait sur la cour de l'école. Nous étions cinq : mes parents Jules Schuller et Rosalie née Bourguignon, mes frères Pierre et Robert, et moi, née le 17 juin 1934, sœur jumelle de Robert. Le 12 janvier 1945, nous avons dormi chez Maria Anthony, rue Joffre, car son mari était en Russie, et elle avait peur toute seule, des obus étant déjà tombés sur Wintzenheim les jours précédents. Nous dormions sur des matelas disposés à la cave. Elle était si profonde qu'aucun bruit de l'extérieur n'y était perceptible. C'est ainsi que nous ignorions qu'un drame était en train de se jouer à quelques pas de là.

Vers 8 ou 9 heures du soir, je ne sais plus exactement, Roger Hirlemann est venu frapper à la porte pour nous annoncer qu'un obus avait provoqué un incendie dans la Wolfsgasse : "Venez vite ! Votre maison est en train de brûler, avec tous vos lapins, cochon, etc !". Mes parents et mon frère aîné ont couru vers la maison, pour essayer de sauver le minimum et aider à éteindre l'incendie. Maman est revenue peu après. Mon père lui avait dit : "Va chez les enfants, ne les laisse pas seuls". Puis a commencé la longue nuit d'attente. Maman a attendu ses "hommes" des heures et des heures, elle était dans l'angoisse, sans aucune nouvelle de ce qui se passait dans la rue de la Victoire. Le matin, ne les voyant pas rentrer, elle est partie aux nouvelles et c'est là qu'elle a découvert la tragédie. Il ne restait rien de la maison. Dans la ruelle, des corps étaient alignés, recouverts de couvertures. Rosalie a soulevé une couverture, puis une deuxième. A la troisième, elle a découvert son fils Pierre, mort. Quelqu'un lui a dit : "Ton mari est là aussi, au bout de la rangée !".

Nous n'avions plus rien, plus de maison, plus de meubles, plus de vêtements, sauf ceux que nous portions sur nous. Mon père était mort, mon frère aussi. Et nous ne pouvions pas rester chez Anthony. Nous sommes donc partis le même jour, à pied, vers Wettolsheim, nous jetant à terre  dans les vignes à chaque sifflement d'obus. Nous avons trouvé refuge chez la famille Barmès, la sœur de maman. Le surlendemain, maman est retournée à Wintzenheim, pour assister à l'enterrement de son mari et de son fils. Faute de cercueils, ils ont été enterrés dans des caisses en bois, fabriqués à la hâte.

Après deux mois et demi, nous sommes revenus à Wintzenheim où nous avons été relogés rue des Prêtres dans deux petites chambres avec cuisine. La boulangère, "S'Becka Finnla", nous a offert une table ronde. Le maire Tannacher nous dit de choisir un buffet de cuisine, un lit et une armoire dans un lot de meubles laissés par des Allemands partis lors de la Libération. Par l'intermédiaire de Paul Beyer, nous avons reçu quelques paquets de vêtements. Et c'est ainsi que nous avons survécu avec les moyens du bord. Maman travaillait chez les paysans, dans les vignes ou à la récolte des pommes de terre. Elle fendait du bois pour les voisins, maniant la hache comme un homme. Nous cherchions aussi des églantines et des myrtilles pour gagner un peu d'argent. Et puis à 14 ans, mon frère et moi sommes allés travailler à la papèterie...

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 23 mars 2004

Marie-Rose Ludwig née Schuller est décédée à Colmar le 16 novembre 2016


WintzenheimHélène Biller, née Unternehr (photo Guy Frank, 8 juin 2004)

Témoignage de Hélène BILLER, née Unternehr

Le soir du 12 janvier 1945, j'étais à la maison avec ma sœur Marguerite et mes parents. Nous vivions au 1er étage du 11 rue de la Petite Porte, dont le hangar donnait sur la rue de la Victoire (Wolfsgass). Soudain, nous avons entendu l'explosion d'un obus, tout près. Je suis descendue dans la rue. La maison Blauler qui fermait le fond de l'impasse s'était écroulée comme un château de cartes. Les voisins sont venus voir les dégâts. Au même moment, un nouvel obus est tombé sur la grange située contre la maison Bernhart, et c'est là que l'incendie s'est déclaré. Les militaires et les pompiers sont accourus pour lutter contre les flammes. Le troisième obus, tombé en plein dans la foule, a fait de nombreuses victimes. Je n'avais pas bougé de la rue, mais j'étais miraculeusement épargnée. Par contre, notre voisine, Mme Kling et sa fille Antoinette ont été blessées dans leur cour. Toutes les deux ont été touchées par de nombreux éclats. Joseph Braun saignait des yeux. Je l'ai mené jusqu'à notre maison, où le Dr Pflimlin est venu l'examiner. Il a dit : "C'est trop tard pour sauver ses yeux, il a perdu la vue". Le curé Ries est venu aussi voir et aider les blessés. Sa soutane était toute gelée par l'eau qu'il avait aidé à pomper à la fontaine...

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 15 mars 2004

Hélène Biller née Unternehr est décédée le 14 septembre 2017



WintzenheimAimé Bauer (photo Guy Frank, 21 août 2004)

Témoignage de Aimé BAUER

J'avais 11-12 ans. Celle nuit-là, on dormait dans la cave de la famille Hirlemann, rue de la Petite Porte, presque en face de chez nous. Je couchais sur un matelas posé sur une caisse de pommes de terre. Quand le premier obus est tombé sur la maison Blauler, je suis monté chez Hélène Unternehr. Je ne me souviens plus de la deuxième explosion, mais quand nous sommes sortis dans la rue de la Victoire, l'incendie faisait déjà rage. Je voulais retourner à notre cave quand le troisième obus est tombé. J'ai entendu des cris. Il y avait un tel remue-ménage dans la rue, ça courait dans tous les sens. J'ai aidé à porter Mariette Roth dans la maison Engel. Elle était grièvement blessée à la cuisse, l'éclat d'obus sortait de sa jambe déchiquetée. Puis je suis descendu m'abriter dans la cave Hirlemann.  Le lendemain, nous avons déménagé dans la cave de la famille Hund (maison Schwab, plus tard Réveillon, 4 rue de la Petite Porte), où nous sommes restés jusqu'à la Libération. Je me rappelle qu'à l'époque, on disait que les tirs venaient de la direction d'Aubure.

Du 2 février, je me souviens de la liesse populaire après l'arrivée des libérateurs. Tout le monde éclatait de joie. Ce jour-là, j'ai reçu mon premier chewing-gum, je l'ai avalé comme un bonbon. C'était nouveau, pour nous, à l'époque...

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 15 mars 2004



WintzenheimJean-Paul Dussel (photo Guy Frank, 29 mai 2004)

Témoignage de Jean-Paul DUSSEL

J'habitais 3 rue du Logelbach. Ce soir là, nous étions à la cave lorsque notre voisin, Ambroise Brunella est venu appeler mon père : "Venez aider, des maisons sont en feu dans la Wolfsgass !". Comme nous arrivions au niveau de la sacristie de l'église, un nouvel obus est tombé. Mon père m'a dit : "Viens, rentrons, ça devient trop dangereux". Nous sommes retournés dans notre cave. Plus tard dans la soirée, une explosion plus forte nous a fait sursauter : un obus venait de toucher le clocher de l'église. Des éclats de pierres et un morceau de la rambarde ont été renvoyés jusque dans notre jardin.

Le lendemain matin, on a trouvé Haeffelin sur le parvis de l'église. Blessé par un éclat de l'obus tombé sur la boulangerie Gaudel, il avait cherché à trouver refuge dans l'église. Rue de la Victoire, la rigole gelée était rouge de sang. Les corps des victimes étaient allongés les uns à côté des autres dans la cour du presbytère. Avant leur mise en bière, mon père a bandé, avec des "Kitterla" (lange pour emmailloter le nourrisson), le tronc tout ouvert de Frédéric Joerg et d'Émile Zehler, le suisse de l'église...

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 7 avril 2004



WintzenheimLéa Kempf, née Joerg (photo Guy Frank, 4 août 2004)

Témoignage de Léa KEMPF, née Joerg

J'habitais avec mes parents dans la cave de notre maison 5 rue Serpentine (rue François Dietrich). Notre cave était profonde, avec d'épais murs en granit. Nous partagions notre abri avec des voisins : famille Siffert, Straub, et parfois Brigitte Werth (épouse Baumann) et ses parents, qui sont par la suite partis vers Wettolsheim. Cette même nuit, un obus est tombé tout près de chez nous, sur les cabinets situés au fond de la cour de l'école. L'engin a explosé dans la fosse, et n'a pas fait d'autres dégâts que des éclaboussures.

Quand l'incendie s'est déclaré, mon père Joseph Joerg a passé la nuit à essayer de préserver les maisons alentour, qui ont pu être sauvées grâce au mètre de neige qui se trouvait sur les toits. Sans cette couche protectrice, les maisons proches de l'incendie auraient pris feu, par la seule chaleur qui se dégageait des flammes qui faisaient un bruit impressionnant. Toute la nuit, le curé Ries pompait à la fontaine, luttant contre le froid et le gel. A l'aube, mon père lui a dit : "Monsieur le curé, allez vous réchauffer !". Quand il a voulu se relever, sa soutane était prise dans la glace et mon père a dû le dégager à coups de pioche.

Le matin, mon père a dit : "L'incendie s'est calmé, je vais voir si personne de la famille n'a été blessé." Au même moment, arrive ma grand-mère qui nous apprend que mon grand-père Frédéric Joerg n'était pas encore rentré. Le suisse de l'église, Émile Zehler était venu le chercher la veille au soir, pour participer aux secours. Mon père est allé aux nouvelles. Il a trouvé le grand-père au poste de secours installé à la gendarmerie. Il était mort. Dans la nuit, il avait été chargé vivant dans l'ambulance partant pour l'hôpital de Colmar. Mais les secouristes ont jugé son cas désespéré, et l'ont laissé à la gendarmerie où il a rendu son dernier soupir.

Puis nous avons appris que mon grand-oncle Eugène Meyer, qui avait déjà été blessé en 1914-18, était mort également. Un éclat d'obus lui a percé le front. Il habitait dans la rue du Presbytère, et était allé porter son aide, comme tous les voisins. Triste bilan…

Source : témoignage recueilli à Munster par Guy Frank le 27 avril 2004


WintzenheimAlice Kling, née Meyer, 96 ans sur la photo. Elle est née le 26 mars 1908 à Wintzenheim (photo Guy Frank, 13 août 2004)

Témoignage d'Alice KLING, née Meyer

En janvier 1945, j'habitais avec mon mari Ernest et mes quatre enfants au 1er étage de Marie Baldauf, rue de la Victoire, à deux pas de la maison de mes beaux parents, Alphonse Kling. Nous n'étions pas à la maison le 12 janvier, car à la suite des bombardements d'artillerie qui s'intensifiaient sur le centre du village, nous sommes montés nous réfugier à la chapelle des Bois. Nous avons chargé deux matelas et des couvertures sur des luges et avons gravi la colline, par 50 centimètres de neige. Notre voisin, Monsieur Meyer, poussait le landau avec ma petite dernière, Charlotte, tout juste âgée de quelques mois.

On s'est installé tant bien que mal dans la chapelle où un poêle nous donnait un peu de chaleur. On dormait sur les matelas posés à même le sol. Nous cherchions l'eau potable à une source en direction de Sainte-Gertrude, et pour notre toilette, il suffisait de faire fondre de la neige. Mais pas question de nous attarder dehors : là-haut, sur la colline, et dans la neige, nous étions des cibles faciles à repérer. On bougeait donc le moins possible. Mon mari descendait au village tous les deux jours chercher du lait pour les enfants et des provisions. 

Nous sommes ainsi restés dans la chapelle pendant environ trois semaines, jusqu'à la Libération. Nous avons vu les chars entrer à Wintzenheim. Venant du chemin du Panorama, un soldat allemand s'est approché de nous.  Il communiquait avec son unité avec un poste émetteur, et nous a demandé comment rejoindre Rouffach par le plus court chemin ; il quittait le secteur pour échapper aux libérateurs. Quand, le lendemain, nous sommes redescendus par le Baerenthal, nous avons dû demander asile auprès de la famille, rue du Mal Joffre, car à la place de notre maison détruite par l'incendie du 12 janvier, nous n'avons plus trouvé que des gravats ...

Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 13 août 2004

Wintzenheim

La famille Kling fouille les décombres de leur maison. Les adultes de gauche à droite : Charles Finance et les fils d'Alphonse Kling, Ernest, Albert et Louis
(photo Julien Ackermann, collection Alice Aubert)


Témoignage de Colette SPEICH, née Pflimlin

L'obus qui toucha le clocher de l'église, arracha l'angle nord-est (vers l'actuel Bon Coin) de la balustrade située sous les cadrans. A l'époque, les cadrans ne comportaient encore qu'une seule aiguille indiquant les heures. Colette Speich se rappelle que des débris d'un cadran et des pierres de la balustrade sont tombés jusque dans le jardin du docteur Pflimlin.

Source : témoignage recueilli par Guy Frank (Plauderstund ewer Wenzena)

Wintzenheim

L'angle nord-est di clocher de l'église atteint par un obus
(photo Alphonse Voegtli, collection Guy Frank)

Wintzenheim

Albert Voegtli, futur Frère Parfait, inspecte la balustrade du clocher dévastée par un obus.
Au fond, on aperçoit le Letzenberg (photo Alphonse Voegtli, collection Guy Frank)

Wintzenheim

A l'époque, les cadrans de l'église ne comportaient qu'une seule aiguille, indiquant les heures.
(photo Alphonse Voegtli, collection Guy Frank)


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