WINTZENHEIM 39-45

L’attaque aérienne du 26 décembre 1944 sur Logelbach


Le curé Schickelé la relate dans son journal, Tomi Ungerer en parle dans son ouvrage « A la guerre comme à la guerre » qui raconte ses jeunes années au Logelbach. Cet évènement je l’ai vécu et les images restent toujours présentes dans ma tête.

***

C’était une belle journée d’hiver : un ciel bleu, presque sans nuage, un soleil timide mais une température agréable pour ce 26 décembre, fête de la Saint-Etienne 1944.

Et cette guerre qui n’en finissait pas ! Chaque jour apportait son lot de malheurs et de destructions. Quelle désolation !

J’avais alors six ans et demi. J’habitais à Colmar, cité de la Fecht, dans le quartier du Logelbach, au N° 15 de la rue de la Poudrière. C’était pratiquement la dernière rue de Colmar. A son extrémité nord, au-delà de la ligne de chemin de fer et de la route d’Ingersheim, s’étendaient les champs et vignes de la Hardt, vers le sud, derrière les maisons de la rue de la Forge, c’étaient les vastes terres cultivées, à perte de vue, jusqu’à la lointaine route de Wintzenheim. Vers l’ouest, au-delà de la rangée de maisons, il y avait un terrain de sport, puis les bâtiments de l’usine Haussmann.

Ce jour-là, le franc soleil nous avait fait sortir de la cave où nous venions de fêter Noël en compagnie de deux autres familles de la maison. Nous y vivions depuis plusieurs semaines, les soupiraux calfeutrés avec des sacs de sable, pour nous garantir d’éventuels éclats d’obus. En effet, la bataille faisait rage du côté de Sigolsheim, Bennwihr et Mittelwihr. Tous les jours, à l’improviste, des obus pouvaient tomber et tuer à la ronde. Je savais l’horreur de cette explosion qui, récemment, a déchiqueté cinq enfants sortis quelques instants des caves et jouant entre les maisons du Schwàrtza Way (la rue de Munster), à même pas 200 mètres à vol d’oiseau.

Après le repas, mon père, chauffeur de locomotive, avait enfourché le vélo pour se rendre au dépôt de chemin de fer, à Colmar, histoire d’aller aux nouvelles, car depuis quelque temps les trains ne circulaient plus guère et les cheminots se trouvaient réduits à l’inactivité.

Avec ma mère, nous étions montés dans l’appartement et nous allions nous mettre à goûter, quand soudain des avions rugirent et des explosions retentirent.

Vite, nous dégringolons l’escalier, nous précipitons à la cave, dans la buanderie. Là, on se jette au sol. Les explosions continuent. Ma mère me serre contre elle, essayant de faire bouclier de son corps. Les autres personnes de la maison se sont aussi réfugiées avec nous. Nous sommes sept, agglutinés dans un coin, se bouchant les oreilles et paralysés d’effroi. Le raid ne dure que le temps du passage des avions, mais ces secondes nous paraissent interminables.

Enfin le calme revient. Une drôle d’odeur flotte dans l’air. « Ce n’est pas tombé bien loin ! », dit monsieur Schattner.

Au bout de quelques minutes, nous nous risquons dehors. On n’en croit pas les yeux !

La maison Braesch, juste vis-à-vis, au N° 12 de la rue, n’est plus que décombres fumantes. Touchée de plein fouet, complètement rasée ! Des débris jonchent la rue, des lambeaux de tissus pendent aux branches des tilleuls.

Monsieur Schattner se hasarde sur le trottoir. Il nous avertit que le pignon nord de la maison voisine, au N° 14, est par terre, écroulé sur lui-même. Nous avançons pour regarder. Comme dans les maisons de poupée, on voit sur le plancher de l’étage le mobilier de la cuisine et celui de la salle à manger le tout bien en place !

Mais en nous retournant, c’est une autre surprise, et de taille. Dans notre maison, au rez-de-chaussée, juste sous la fenêtre de ma chambre, un trou béant ! Une bombe y est entrée… et n’a pas explosé !

A présent, les gens sortent des caves. On échange, on commente. C’est ainsi que nous apprenons qu’une autre bombe est tombée tout près, dans les jardins de la rue de l’abbé Lemire où elle a creusé un vaste cratère, juste entre les habitations. Et une autre encore est entrée dans l’immeuble parallèle au nôtre, dans la rue Georges Rissler, au N° 18. Elle a traversé la dalle, a abouti à la cave et…n’a pas explosé non plus !

Y a-t-il des victimes ? Non... Une chance extraordinaire !!...

La maison des Braesch était inoccupée, les propriétaires, des personnes âgées, s’étaient réfugiés chez leur fille, rue de la Forge. La famille de l’appartement sous le nôtre avait préféré quitter la ville pour un village dans la vallée de Guebwiller. Seule une jeune fille saigne au visage, suite à des éclats de vitre.

On ne peut pas s’imaginer ce qui serait advenu si tous les détonateurs avaient fonctionné !

Bientôt la nouvelle court que, vers l’usine Haussmann, des bombes sont aussi tombées, qu’un pâté de maisons serait touché et gravement endommagé, qu’une autre maison serait complètement écroulée et qu’il y aurait sûrement des morts.

Sur ce, mon père arrive, il est essoufflé. Depuis le dépôt de chemin de fer il a assisté à l’attaque et a vu que notre quartier était visé. Il a roulé au plus vite, il était mort d’inquiétude, mais il est soulagé en nous voyant, encore incrédule de cette chance incroyable.

Peut-on rester là ? Dans l’appartement, la menace de la bombe sous nos pieds, à la cave, la même menace au-dessus des têtes. Il faut partir !

Logelbach

Le plan du quartier touché par les bombes lors de l'attaque aérienne
A : rue de la Poudrière - B : rue de l'abbé Lemire - C : rue Georges Rissler - D : le Schwàrtza Way

Les impacts :
1 : la maison Braesch (12 rue de la Poudrière) - 2 : impact au 15 rue de la Poudrière
3 : impact au 18 rue Georges Rissler - 4 : impact dans les jardins rue de l'abbé Lemire
5 : près de l'usine Haussmann, les bombes dont parle Tomi Ungerer

Mon père sort la charrette, d’ Marikkütsch. Il y charge une grande malle en osier, toute prête depuis des semaines, dans la quelle ma mère avait rangé des affaires indispensables, au cas où… Puis il rajoute encore quelques autres bricoles. Il empoigne son vélo et tous les trois nous quittons la rue de la Poudrière.

Nous nous dirigeons vers la route de Wintzenheim, à l’école des Vosges (école Pfister) où des amis de mes parents étaient concierges. Nous passons la nuit chez eux, au sous-sol, dans la chaufferie de l’établissement. Le lendemain matin, poussant la charrette et le vélo, nous traversons Wintzenheim, passons à Saint-Gilles où nous sommes obligés de nous cacher dans le fossé au passage d’un avion qui recherche la pièce d’artillerie allemande qui tirait vers la vallée de Kaysersberg. Nous arrivons enfin chez la sœur de ma mère qui habitait sur les hauteurs de Munster.

Là, ma mère s’effondre en larmes.

Logelbach

Vue aérienne du quartier vers 1970.

En haut, à gauche de la route d'Ingersheim, la voie ferrée et la rue des Mésanges (Schwartza Way). En haut, à droite, la rue de la Poudrière et la cité de la Fecht. Un ensemble d'immeubles occupe la place du terrain de sports. Depuis le milieu de la rue de la Poudrière, un embranchement de rue vers les immeubles, c'est la place laissée libre par la maison Braesch.
(photo : Archives Municipales de Colmar - Annuaire Société d'Histoire et d'Archéologie de Colmar 2003-2004)

Remarque :
Quelques jours avant l’attaque, les Allemands avaient camouflé des chars entre les maisons. Est-ce la raison du raid. Ou bien sont-ce les canons qui tiraient depuis les usines qui étaient visés ? On ne le saura pas.

Article de Gérard Lincks, paru dans l'Annuaire N° 9 - 2005 de la Société d'Histoire de Wintzenheim


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