Ils étaient officiers de réserve. Et alsaciens. En juin 1944, alors que vacille l’Allemagne nazie, 42 d’entre eux sont déportés pour avoir refusé leur incorporation dans l’armée allemande. Publié en 1987, le témoignage des 20 survivants est réédité en 2024.
Châtenois, 1er décembre 1946 : les officiers de réserve alsaciens du camp de Neuengamme se réunissent et célèbrent le souvenir de leurs 22 camarades décédés durant leur déportation.
En haut à gauche, on reconnait le wintzenheimois Robert Sibler.
La règle, édictée par les autorités militaires allemandes elles-mêmes, était claire : aucun officier ayant servi dans une
armée étrangère ne pouvait être recruté dans la Wehrmacht à moins d’être volontaire. De quoi rassurer les quelque 800
officiers de réserve alsaciens qui, après avoir servi sous le drapeau français, avaient été démobilisés une fois le combat
perdu en juin 1940. Ils ne connaîtraient pas les affres de l’incorporation de force imposée aux jeunes Alsaciens deux ans plus tard.
Mais c’était compter sans la dégradation de la situation militaire qui confronte l’Allemagne à des besoins pressants de
renouvellement de ses officiers. On imagine combien il était tentant pour le Gauleiter Robert Wagner de puiser dans cette
réserve jusque-là préservée. S’y ajoutait probablement le souci de neutraliser d’éventuels cadres à un mouvement de résistance
alsacien qui pourrait aller en s’amplifiant à mesure que l’Allemagne reculait sur tous les fronts, comme l’expliquera
plus tard Martin Stoll dans son livre de témoignages Nous étions 42, publié en 1987.
Les 42, c’est le nombre d’officiers de réserve convoqués au camp de formation militaire de Cernay qui refusèrent de porter
l’uniforme allemand. Au départ, ils étaient près d’une soixantaine à avoir reçu le terrible ordre de convocation. Les
officiers de santé furent renvoyés à leurs foyers sur intervention de l’Ordre des médecins. Sous la pression et les
menaces, huit autres accepteront leur engagement. Ils ne seront plus que 42 à tenir bon, réclamant justice par courrier adressé au Führer.
« On leur expliquera qu’en tant qu’Auslandsdeutschen, c’est-à-dire Allemands de l’étranger, la règle qui prévalait
dans l’armée allemande sur le non-engagement d’officiers étrangers ne pouvait leur être appliquée », commente Jacques
Stoll, le fils de Martin Stoll. Avec un autre descendant des 42, Xavier Gillig, il a décidé de rééditer, près de quarante ans
plus tard, Nous étions 42. Enrichi d’une copieuse postface signée du petit-fils de l’ancien officier de réserve, Mathieu Stoll,
historien et archiviste paléographe, l’ouvrage voit son titre légèrement modifié, devenant Les 42, et paraître au catalogue de l’éditeur
strasbourgeois Éditions de Bonne Heure, très engagé dans les problématiques alsaciennes.
Imperturbables dans leur refus, les 42 connaîtront la déportation au camp de Neuengamme, situé près de Hambourg, où dans un premier temps ils jouissent d’un statut relativement favorable, échappant notamment au travail forcé. Mais cela ne durera pas. Agacé par une telle obstination, le Reichsführer SS Himmler les fait basculer, le 25 novembre 1944, en Nacht und Nebel - Nuit et Brouillard. « L’équivalent d’un arrêt de mort », résume Jacques Stoll. La faim, les maladies, les mauvais traitements auront raison de plus de la moitié d’entre eux. Ils ne seront plus que 20 à rentrer chez eux, une fois la guerre finie.
« Il y eut une longue période de silence. Comme beaucoup de déportés, ils n’en parlaient pas », commente Jacques Stoll qui se rappelle son étonnement lorsqu’enfin, dans les années 80, son père mobilisa les témoignages de ses anciens compagnons pour que la mémoire de leur calvaire ne s’efface pas. Ce que l’héroïsme des 42 apporta à des centaines de leurs camarades officiers de réserve alsaciens, le Gauleiter Roland Wagner le révéla au cours de son procès. Cette première fournée avait valeur de test. Il s’agissait de jauger la réaction d’une première fournée d’officiers de réserve alsaciens. « En refusant très majoritairement de porter l’uniforme allemand, ils ont sauvé les autres », conclut Jacques Stoll.
Les 42, Éditions de Bonne Heure (EDBH), 211 pages, 16€.
Source : Serge Hartmann, L'ALSACE du 4 juillet 2024
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