WINTZENHEIM 39-45

1940 : Antoine Moser à Narvik sur le contre-torpilleur français "Milan"


Antoine Moser : les combattants de l'oubli

Wintzenheim Antoine Moser en 1939 sur le Cuirassé "Paris" (collection Jean-Louis Moser)

Antoine est né le 14 décembre 1919, de Louis Moser, ouvrier à la fonderie Haren, et de Albertine née Risser, ouvrière à l'atelier de moulinage des tissages de soieries Coudurier Fructus et Descher de Wintzenheim. A l'issue de son apprentissage aux ateliers du ferronnier E. Greiner de Colmar, il passe son CAP de serrurier en 1936. En 1937 et 1938, il travaille à la Société des Chantiers et Ateliers du Rhin (S.C.A.R.) à Strasbourg-Neudorf. Mais Antoine aspire au large...

Le 1er février 1939, Antoine Moser signe un engagement volontaire de trois ans dans la Marine Nationale Française. Il est versé dans la Flotte du 5ième Dépôt à Toulon, dans le Var. Il fait ses 2 mois de classe et embarque sur un navire-école, le cuirassé Paris (voir photo 1) pour une formation d’un an en tant que mécanicien-chauffeur.

Au mois de septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne lancent les hostilités contre l’Allemagne. La Marine Allemande avait déjà lancé son cuirassé de poche le Graf Spee dans l’Atlantique Sud, semant la terreur en coulant de nombreux cargos anglais. Les Anglais et les Français, dont le cuirassé Paris, se lancent à sa poursuite, le Graf Spee (voir photo 2) est repéré et se réfugie dans le port de Montevideo en Uruguay. Il arrivera à ressortir du port, mais uniquement pour se saborder.

Retour à Brest au mois de mars 1940. Ayant terminé sa formation, Antoine Moser doit rejoindre sa nouvelle unité d’affectation et embarque sur le contre-torpilleur* Milan (voir photo 3). Un vrai lévrier des mers, rapide et stable à la mer. Ayant à peine pris ses marques sur le bateau, une mission l’attend.

Le contre-torpilleur, prend part au théâtre des opérations de la Bataille de Narvik. Les forces franco-britanniques doivent couper la route du fer à l’Armée Allemande, c'est-à-dire couper les approvisionnements allemands en minerai de fer suédois, dont l'essentiel est embarqué au port norvégien de Narvik. Le bateau est engagé pendant 5 jours dans les fjords de Norvège et subit les attaques répétées de l’aviation allemande. Le contre-torpilleur Milan participe au débarquement d'une demi brigade de chasseurs alpins français dont fait partie un autre habitant de Wintzenheim, René Antoine, qui se battra dans les montagnes de Norvège et rentrera sain et sauf après la guerre. Le 22 mai, le Milan est touché par une bombe à l’arrière (voir photo 4) où une importante voie d’eau se forme. Celle-ci est colmatée à Harstad afin de lui permettre, le 23 mai, d'appareiller pour Greenock en Ecosse où il parvient le 27 mai  Antoine Moser est légèrement blessé, mais peut poursuivre sa mission.

Puis le bateau rejoint Brest pour réparation de ses avaries (voir photo 5). Le 15 juin, il appareille de Brest pour Plymouth, ayant à bord le Général de Gaulle qui se rendra quelques jours plus tard à Londres d’où il lancera son fameux Appel du 18 juin 1940. Puis le Milan rallie son port d’attache à Toulon pour un carénage court, en cale sèche (voir photos 6 et 7). C’est à ce moment-là, le 22 juin 1940, que l’armistice est signé avec l’Allemagne. Une commission d’enquête du gouvernement de Vichy vint rendre visite au Commandant du navire pour ramener Antoine Moser en Alsace, à l’époque annexée à l’Allemagne. Antoine Moser s'y refuse se cache avec l'aide de ses camarades d'équipage. Un autre habitant de Wintzenheim, René Muller, fusiller-marin sur le sous-marin Surcouf, a lui aussi refusé de rentrer en Alsace. Ils ne le savaient pas encore, mais s'ils étaient revenus en zone annexée, ils auraient connu le sort peu enviable des incorporés de force.             

Mais Antoine Moser commet une grave erreur : il veut prévenir Louis et Albertine Moser, ses parents à Wintzenheim, qu’il ne rentrerait pas tant que l’ennemi occupera l'Alsace. Toulon est en zone libre, la Poste fonctionne correctement. Malheureusement sa lettre est interceptée par la censure allemande. La Gestapo vient frapper chez ses parents et les menace de déportation dans un camp près de Stuttgart si Antoine n'est pas rentré dans les 8 jours. Le maire de l’époque trouve une échappatoire. Il convoque Louis à la mairie et lui fait part de son idée : « Louis, vous pouvez éviter de partir à Stuttgart, mais en revanche, il vous faudra adhérer à la section locale de la NSDAP, le Parti Nazi des travailleurs allemands ». Louis revient à la maison et fait part de la proposition à Albertine qui devient folle de rage. Mais ils n’avaient pas le choix. Le père d'Antoine assiste donc aux réunions du Parti, mais tard dans la nuit, il rejoint les responsables de la résistance locale pour leur communiquer ce qu'il a pu apprendre des projets de l'occupant.

Antoine Moser effectue encore deux années dans la Marine en sillonnant les mers, effectuant des escortes du port de Halifax à Mourmansk pour acheminer du matériel américain aux troupes russes. En janvier 1942, il quitte l’armée et s’engage dans la marine marchande franco-britannique comme chauffeur, soutier ou graisseur sur des cargos et pétroliers qui ravitaillaient navires de guerre et sous-marins alliés. Après 6 ans et 8 mois, il est démobilisé le 31 octobre 1945 et rejoint son foyer 5 rue des Laboureurs à Wintzenheim.

Wintzenheim avait été libéré le 2 février 1945, au grand soulagement de ses parents, toujours menacés de représailles par la police allemande.(voir photos 8 et 9) 

Quelques années plus tard, le roi Haakon VII décerne à Antoine Moser la médaille norvégienne de la participation à la bataille de Narvik.

Source : Jean-Louis Moser, fils d’Antoine

* Dans la terminologie militaire moderne, un destroyer (en France un contre-torpilleur, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale) est un navire de guerre capable de défendre un groupe de bâtiments (militaire ou civil) contre toute menace, comme d'attaquer un groupe de navires moyennement défendus. Il possède des moyens de lutte antiaérienne, anti-sous-marine et antinavire. À l'origine, le terme désignait un bâtiment qui devait attaquer au moyen de torpilles, tout en défendant à l'aide d'une artillerie de moyen calibre une escadre ou un convoi attaqué par des bâtiments du même type.


Le 10 décembre 1953, le Secrétariat d'État aux Forces Armées "Marine" adresse à Antoine Moser
le Diplôme et la Médaille de la Participation décernés par le Gouvernement Norvégien

Médaille norvégienne "pour la participation à la défense 1940-1945" aussi appelée "Médaille de Narvik"
instituée par le roi Haakon VII le 25 septembre 1945
(collection Jean-Louis Moser)

cuirassé Paris Moser 1

Le Cuirassé "PARIS"


Photo Marius Bar, Toulon

(collection Jean-Louis Moser)

Le Paris est un cuirassé lancé en 1912 pour la marine française. Il s'agit de la troisième unité de la classe Courbet, les premiers Dreadnought construits pour la Marine française.

Graf Spee Moser 2

Sabordage du cuirassé de poche Admiral "GRAF-SPEE" de la Kriegsmarine
à la sortie du port neutre de Montevideo


(collection Jean-Louis Moser)

Le navire Admiral Graf Spee était un croiseur cuirassé appartenant à la Kriegsmarine. Il était le dernier sorti d'une série de trois bâtiments. Il effectua une campagne dans l'Atlantique Sud, avant d'être endommagé à la bataille du Rio de la Plata, puis sabordé. Son nom de baptême provient du comte (Graf) von Spee (1861-1914), amiral de la marine impériale allemande.

Moser 3

La plage arrière du MILAN


(collection Jean-Louis Moser)
Moser 4

Contre-torpilleur touché à l'arrière


(collection Jean-Louis Moser)
Moser 5

Retour de Narvik. Le MILAN en réparation à Brest.


(collection Jean-Louis Moser)
Moser 6

Le MILAN en cale sèche.


(collection Jean-Louis Moser)
Moser 7

Le MILAN en cale sèche.


(collection Jean-Louis Moser)
Wintzenheim

Moser 8

Abwehrstelle im Wehrkreis V

 Stuttgart le 4.8.41

Concerne : Échange de courrier interdit

Monsieur Louis Moser
Wintzenheim/Alsace

La Abwehrstelle V vous retourne une lettre adressée à Émile Depoutot, Blainville Meurthe et Moselle, lettre destinée à être transmise dans un pays étranger ennemi. Selon le décret au sujet de l’échange de courrier v 2/4/40 (Reichsgesetzblatt Teil I N° 95 du 1.6.1940) la correspondance directe ou indirecte vers un pays ennemi est punissable, donc strictement interdite. La correspondance indirecte est l’envoi d’un courrier vers un pays étranger non ennemi, afin qu’il soit transféré vers un pays ennemi.

En tant qu'expéditeur de la lettre mentionnée ci-dessus, vous êtes fermement averti qu’en cas de récidive vous risquez d'être accusé de haute trahison.

En ce qui concerne la libération de votre fils du service militaire français, la Abwehrstelle recommande de faire une requête auprès de la délégation allemande de la commission de l’armistice à Wiesbaden

(collection Jean-Louis Moser)

Traduction Jacqueline Strub

Wintzenheim

Moser 9

Le Chef de l'Administration Civile en Alsace

Strasbourg le 18 février 1942

A Monsieur Louis Moser
9 rue des Laboureurs
Wintzenheim (Haut-Rhin)

Concerne : Retour de votre fils Antoine Moser

Par le Consulat General allemand à Casablanca, j’ai reçu l’information suivante :

Les enquêtes du consulat général allemand ont conclu que l’Alsacien Antoine Moser n’est plus incorporé dans la marine française. Concernant son retour, Moser a déclaré que pour le moment, il ne serait pas prêt à rentrer en Alsace.

Par ordre
gez. J. Keppi

(collection Jean-Louis Moser)

Traduction Jacqueline Strub

*

Le contre-torpilleur Milan en opération de guerre en Norvège en 1940 (aquarelle de Pierre Boucheix)

D'avril 1939 à octobre 1941, le Milan et l'Épervier portent les marques de la 11e D.T.C. (Division de Contre-Torpilleurs)
La marque de la division est : 2 anneaux rouges à la 2e cheminée.
Les symboles de coque sont X112 pour l'Épervier, et X113 pour le Milan.

Le contre-torpilleur MILAN à Narvik (18 au 23 mai 1940)

Le Capitaine de frégate (H) Rouault, officier de manœuvre du Milan en 1940, a conservé dans son journal de navigation, tenu au jour le jour pendant toute la durée de son embarquement, un récit particulièrement évocateur des conditions d'engagement des bâtiments alliés contre l'aviation allemande, totalement maîtresse du ciel. Voici son récit du deuxième séjour du Milan en Norvège.

Le MILAN à l'appareillage de Toulon, 1938.
Il sera coulé le 8 novembre 1942 devant Casablanca (Maroc) lors du débarquement Allié en Afrique du Nord.

Le lundi 13 mai 1940, à 20h40, le Milan appareille de Greenock en Ecosse avec les destroyers britanniques H.M.S.* Antelope et Delight et prend l'escorte des grands paquebots polonais Sobiesky et Batory transportant une demi-brigade polonaise destinée à participer à la prise de Narvik. (* HMS est un préfixe de navire utilisé dans la Royal Navy, et correspond à l'abréviation de Her Majesty's Ship ou His Majesty's Ship selon que le monarque anglais est de sexe féminin ou masculin). 

Après trois jours de mer, le Milan lâche l'escorte par 68° N et 6°35' E pour aller arraisonner le cargo finlandais Aagot en route vers Petsamo. Le 17, le contre-torpilleur rallie le convoi et coule au canon une mine dérivante. En fin de journée, les cinq bâtiments mouillent sur rade de Harstad. A 21h, le Milan s'amarre à couple du pétrolier British Governor pour ravitailler. Il reçoit peu après l'ordre de rallier dès que possible le destroyer H.M.S. Fame vers Narvik. Sans cartes marines de la région, le Commandant Plumejeaud doit envoyer à terre un de ses officiers pour ramener à bord un pilote norvégien.

A 5h15, le 18 mai, encore en cours de ravitaillement, le Milan est attaqué par un avion allemand qui laisse tomber trois bombes à 200 ou 300 mètres du bord. Le contre-torpilleur interrompt son mazoutage et appareille pour Narvik. Afin de gagner du temps, il emprunte le Tjeldsundet, un étroit et sinueux passage accessible aux seuls bâtiments calant moins de huit mètres. Vers midi, le Milan est, en compagnie du H.M.S. Fame, devant Narvik où les Allemands sont solidement retranchés.

Vers 13h15, le Milan entre dans le Rombaksfjord. A 13h55, il tire 4 coups de 138 mm à 2000 mètres de portée sur l'entrée d'un tunnel abritant une position d'artillerie ennemie. Le dernier obus explose à l'intérieur du tunnel et réduit la batterie au silence. La menace de l'aviation allemande oblige le contre-torpilleur à revenir dans l'Ofotfjord, plus vaste et où une manœuvre de dérobement est plus aisée. A 22h15, entré dans le Beisfjord devant Narvik, il tire 6 coups de 138 mm à 7000 mètres sur une usine occupée par les Allemands.

Le jour suivant, dimanche 19 mai, le Milan repère trois pièces d'artillerie ennemies sur les hauteurs de la pointe de Framnes. Elles sont détruites par un tir de 22 coups de 138 mm vers 22h30. Cette activité entraîne une vive réaction de l'aviation ennemie le lendemain 20 mai.

A 9h20, première attaque aérienne : un chapelet de 8 bombes tombe à 150 mètres sur l'arrière du Milan, puis un autre à 75 mètres. A 9h45, la D.C.A. du Milan repousse 2 bimoteurs Heinkel 111 qui renoncent à attaquer. Vers 10h10, un Dornier 17 survole le contre-torpilleur et semble touché par sa D.C.A. ; il lâche ses bombes à 800 mètres du bord. Compte tenu de l'activité de la Luftwaffe devant Narvik, le croiseur anti-aérien H.M.S. Cairo (huit 102 mm C.A. et un 40 mm quadruple) est envoyé en renfort dans l'Ofotfjord. Il rallie vers 15h30.

A 18h40, un bimoteur Junker 88 attaque en semi-piqué et place ses deux bombes à 50 mètres à peine du Milan. A 19h, nouvelle attaque d'un Junker 88 dont la bombe tombe au ras de l'étrave du contre-torpilleur qui disparaît dans une immense gerbe d'eau noirâtre. Cette gerbe retombée, le Cairo, inquiet, signale : "How is it going out ?" (comment cela s'est-il passé ?). "All Right" répond le Milan, qui n'a pas été touché. A 19h20, le contre-torpilleur essuie deux attaques en vol horizontal. Deux chapelets de bombes tombent à 75 puis 50 mètres du bord. A 19h45, trois nouvelles attaques du même genre. Les bombes tombent entre 100 et 200 mètres.

Dans la nuit du 20 au 21 mai, le Milan participe au débarquement de chasseurs alpins à Lilleberget, sur le Rombaksfjord. Dans la journée, Cairo, Fame et Milan patrouillent devant Narvik et subissent plusieurs attaques aériennes, dont l'une entraîne la perte du patrouilleur Asdic britannique Cape Passaro. Dans la soirée du 21, le Milan patrouille dans le Rombaksfjord, prêt à apporter aux troupes à terre le soutien de son artillerie.

Le 22, à 12h30, commence la première attaque aérienne sur les bâtiments alliés devant Narvik. Un Heinkel 111 lâche ses bombes à 700 mètres du bord. Quelques minutes plus tard, un Junker 88 attaque en piqué et ses deux bombes tombent à toucher l'arrière du Milan. L'une provoque une sérieuse voie d'eau, avec noyage de plusieurs compartiments dans la tranche K. La deuxième attaque a lieu à 13h25. Des bombes tombent à moins de 50 mètres du Cairo. Le Milan est manqué deux fois, les chapelets tombant à 200 et 300 mètres par le travers.

A 15h30, le Milan fait route à faible vitesse vers Harstad. En fin de journée, il s'amarre à couple du navire-atelier H.M.S. Vindictive et on procède à l'examen des avaries. La coque présente un enfoncement de 2 mètres de long sur 1 mètre de hauteur, avec une brèche de 40 cm sur 20, obturée dans la nuit par boulonnage d'une plaque métallique sur le bordé. Un solide épontillage est mis en place pour soutenir la cloison des soutes à munitions.

Ayant ravitaillé dans la matinée du jeudi 23 mai, le Milan appareille à 11h30 pour Greenock, quittant définitivement les eaux norvégiennes.

Pour leur participation à cette campagne, l'Épervier et le Milan sont cités le 19 mai 1940 à l'ordre de l'Armée de mer. Le contre-torpilleur Milan avec le motif suivant : "Sous le commandement du Capitaine de frégate Plumejeaud (L.M.E.) a brillamment pris part aux opérations en Mer du nord et sur les côtes de Norvège sous les attaques violentes de l'ennemi".

Carte de la région de Narvik-Harstad

Source : Les contre-torpilleurs Épervier et Milan, par Jean Lassaque, Marines Edition


Monument Commémoratif de la Bataille de Narvik (Norvège) 1940

“La France à ses fils et à leurs frères d’armes tombés glorieusement en Norvège. Narvik 1940

Timbre français 1952 - 12e anniversaire de la bataille de Narvik - Dessiné et gravé par Henry Cheffer


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